François Ozon continue de surprendre et de dérouter avec Frantz, cette ode à la beauté sur fond de drame, d’histoire et d’horreur pour faire hommage au septième art à sa façon. Un film touchant fait avec élégance.
Il est néanmoins difficile de ne pas y voir une certaine prétention dans le projet. D’abord parce que le film a le nom de son cinéaste, mais aussi parce que c’est l’adaptation libre d’un vieux film (Broken Lullaby de Ernst Lubitsch) lui-même adapté d’une pièce de théâtre (L’homme que j’ai tué de Maurice Rostand). Avec la particularité de renverser la perspective et de faire ici un film allemand par un français, abordant le sujet chaud de la guerre de 14-18, opposant les uns aux autres.
Néanmoins, si le pari n’est pas entièrement convaincant, il fait preuve d’une maîtrise qui foudroie. Recréant le film d’époque du début des films parlants à la perfection, principalement au niveau sonore, aidé d’un magnifique noir et blanc et d’une délicate trame sonore de son complice Philippe Rombi, il profite aussi de l’excellence des comédiens qui jouent le jeu avec aisance, la lumineuse Paula Beer la première, ce, même si le trop présent Pierre Niney a encore du mal à se défaire de ses propres tiques.
Ainsi, la proposition de Ozon peut aisément se comparer à The Artist de Hazanavicius, jouant habilement la carte de la mélancolie et de la nostalgie, se permettant de traverser à la fois le genre et le temps. Bien sûr, le désir de choquer de Ozon n’est jamais très loin et si, retenue oblige pour le genre, le pastiche et l’époque, il ne donne pas cette fois dans les travers sexuels, il s’en prend à un récit profondément poignant qui hante l’esprit en faisant réfléchir sur les limites et la nécessité d’un mensonge.
C’est que Anna pleure la mort durant la guerre de celui qui devait devenir son mari, un homme pacifiste, musicien et rêveur et vit avec les parents de ce dernier. Sa vie prend tout un tournant lorsqu’elle surprend un étranger français en train de pleurer sur la tombe de celui qu’elle aime encore et qu’elle décide d’apprendre à le connaître, persuadée qu’il s’agit d’un très bon ami qu’il aurait probablement connu lors de ses études à Paris avant la guerre.
Parfois poussif, si son histoire est assez universelle, il y a des changements de tons et de registres qui ne fonctionnent pas toujours et le rythme n’est pas toujours assuré. Jusqu’à un certain point, le classicisme de l’ensemble lasse un peu puisque ses tentatives de le transcender manquent de subtilités, démontrant moins de facilité à s’amuser avec le medium que dans son sublime Dans la maison, l’une de ses œuvres les plus sadiques et réussies à ce jour.
Malgré tout, Frantz demeure une œuvre d’une grande sensibilité qui sait tirer le plus beau et le plus touchant d’une situation qui n’a habituellement que bien peu de positif à offrir. S’il manque d’assurance ici et là, pour une romance plus passionnée, on repensera quand même au mésestimé Un long dimanche de fiançailles de Jeunet, en se disant que si Ozon assumait autant sa propre folie que ce dernier, il pourrait certainement en offrir une œuvre aussi forte. En repensant à l’éclectisme de sa filmographie, on sait au fond de nous-mêmes qu’il n’en est vraiment pas loin.
Frantz prend l’affiche en salles ce vendredi 7 avril.