Voguer sur un voilier dans les Antilles ne laisse personne indifférent. Ayant suivi des cours de navigation, le bédéiste Jérémy Bourgeois Raymond n’a pas hésité à prendre un vol direct dès qu’il a reçu l’offre d’un ami qui venait d’y faire l’acquisition d’un bateau.
En entrevue, il me déballe les bribes de sa mémoire pour reconstituer case par case son aventure d’une durée de cinq semaines.
Quand as-tu pris la décision de partir?
Début janvier, mon ami est parti dans les Antilles pour s’acheter un voilier. Dès qu’il l’a trouvé, il m’a donné un maximum d’une semaine pour venir le rejoindre. Six jours après, j’étais à la Guadeloupe.
As-tu quitté ton emploi?
J’avais deux emplois alimentaires à temps partiel: une job de déménageur et une job de surveillant dans une école pour enfants autistes. Ça faisait longtemps que je voulais faire de la voile. À la base, je suis bédéiste et j’aimerais vivre de ça, mais pas à tout prix non plus. Je ne veux pas faire n’importe quoi en BD pour que ça paye. En suivant des cours de navigation, mon but est de travailler pour la marine marchande. Avoir de longues vacances pour faire mes projets de bande dessinée ou même sur le bateau.
Y’avait-il des réparations à faire sur le voilier usagé?
Beaucoup de choses à réparer et à nettoyer. Au début, on ne faisait que des petites sorties puis quand on a décidé d’aller plus loin, il y a encore des choses qui ont brisé. Il faut être homme à tout faire, c’est surtout ce que j’ai appris. Il y a toujours quelque chose à arranger. Ça nous a permis de connaître le bateau, de voir comment il réagit, de connaître l’endroit et de rencontrer les habitants. Puis on est venu à la conclusion que mes amis étaient assez bons pour gérer les voiles et moi, je dirigeais le bateau en étant à la barre.
Aviez-vous l’électricité?
On avait des panneaux solaires qui ne fonctionnaient pas au début. En fait, ils fonctionnaient, c’est juste qu’ils étaient mal branchés. Il a fallu travailler un peu là-dessus. Aussi, on a fait une sortie où on avait beaucoup de vent de face, il y a un panneau qui s’est décroché et a failli tomber à l’eau. Il a fallu mieux les attacher. Finalement, ça avait l’air de bien marcher (en riant).
Sentez-vous les vagues sur un voilier?
Les Antilles forment une arche, une ligne courbe. Chaque île a un côté calme à l’intérieur du golfe du Mexique, mais de l’autre côté ça brasse plus. En traversant l’océan Atlantique, les vagues se sont formées pendant longtemps, ont pris de la hauteur, de la longueur. Ce sont des grosses vagues, mais pas apiques. Les vagues du golfe sont plus petites. S’il y a du vent, les vagues seront plus courtes avec un angle moins arrondi. Quand il y a une petite tempête, ça peut bouger beaucoup parce que ça va être une vague après l’autre, c’est plus rapide. Une vague qui s’est formée pendant une journée ce n’est pas comme une vague qui s’est formée pendant des semaines en traversant l’océan, qui a de l’amplitude, mais qui est lente.
Sur le bateau, une vague qui vient de loin est-elle agréable?
Tu lèves et tu descends. Ça te fait bercer. Je trouve ça plus agréable qu’une petite vague qui vient te bousculer d’un coup. Ça peut devenir impressionnant parce que parfois tu vas entre deux vagues et tu ne vois plus des deux côtés, ça peut cacher des bateaux. En plus, ça bouge. Les plus grosses vagues qu’on a vues avaient trois-quatre mètres de haut, plus haute que nous sur notre petit bateau. Ce sont de bonnes sensations.
Comment s’est passé votre long trajet?
Le but de mon ami c’était d’aller à Saint-Barthe au nord des Petites Antilles. Quand on a vu que le bateau était correct, on est parti, on a fait le trajet principal d’un coup. On a navigué sans arrêt pendant une vingtaine d’heures. Il faut toujours être attentif, même s’il n’y a rien en vue. Ça se peut qu’un bateau apparaisse à l’horizon, si c’est un bateau qui va vite, ça se peut que 15 minutes après il soit devant nous et qu’on fonce dedans. On ne peut pas aller relaxer en dedans du bateau. On est resté plus de 24 heures sans dormir.
Comment était Saint-Barthélemy?
C’est une très belle île, l’eau est limpide, on peut voir à une centaine de pieds sous l’eau. Il y a beaucoup de touristes fortunés, beaucoup d’Américains, un peu de Russes. C’est très cher, il y a des yachts énormes de cinq, six ponts. C’est comme le Monaco des Antilles. Il n’y a pas de taxe d’importation, ça fait partie de la France. Ce n’est pas une grande île pour les Antilles à comparer à Haïti ou Cuba.
Qu’est-ce qu’un carnaval dans les Antilles?
C’est différent d’une île à l’autre et ça dure au moins trois semaines. Il y a beaucoup de concours de musique et de danse. Le carnaval en tant que tel, ça dure une journée. À Saint-Barthe, ce sont de gros chariots qui défilent dans la rue avec des danseurs, tout le monde est déguisé et fait le tour de la ville principale pendant toute l’après-midi. Le soir, ça fait la fête… jusqu’aux petites heures du matin. Les gens boivent pas mal, mais comme c’est un endroit assez riche et assez touristique il y a rarement des trucs pas l’fun qui arrivent. Souvent, les gens laissent leurs clés dans leurs voitures et ne barrent pas leurs portes.
…une destination sécuritaire?
Ce n’est pas pareil sur les autres îles. Au départ, on est resté environ un mois en Guadeloupe pour réparer le bateau. J’ai rencontré beaucoup de bon monde, mais j’ai eu des problèmes avec une ou deux personnes. Rien de grave, mais j’ai senti un peu de racisme envers les blancs. Il y a plusieurs personnes qui m’ont dit de faire attention. Ça fait partie de la France, mais c’est dangereux.
Comment est le carnaval en Guadeloupe?
On brûle une poupée vaudou de trois à quatre étages de haut dans laquelle les habitants mettent leurs frustrations pour partir à nouveau, ça souligne le printemps. Puis, ils claquent le fouet. Le petit cousin d’un ami que je me suis fait là-bas m’a montré comment faire.
…un enfant?
Oui, j’ai trouvé ça très symbolique qu’un enfant noir montre à un blanc dans la trentaine comment claquer le fouet. Ça montre qu’on est rendu à une autre étape même s’il reste encore du chemin à faire.
Un bédéiste dans la marine marchande, tu ne vas pas t’ennuyer de la terre ferme?
Il y a des marins dans ma famille, j’ai entendu des histoires quand j’étais jeune. Ça m’a toujours attiré.