L’ère Trump offre l’opportunité d’un cours accéléré en psychologie de la désinformation. Entre les biais de confirmation et les Facebookiens qui partagent un texte sans l’avoir lu, journalistes et communicateurs tentent de s’ajuster.
Jusqu’à six personnes sur 10 ne liront que le titre d’un article, rappelle le psychologue Gleb Tsipursky dans le Scientific American. Par conséquent, un titre tel que Trump accuse Obama d’avoir mis ses téléphones sous écoute sera accepté tel quel par six lecteurs sur 10: ses partisans verront ce titre comme une accusation fondée, ses opposants le verront comme une accusation sans fondement. Ce « déficit d’attention » explique qu’au cours des derniers mois, de plus en plus de médias américains aient pris l’habitude d’introduire des mots tels que « mensonge » ou « fausseté » dans leurs titres, plutôt que le traditionnel « il affirme que » ou « il déclare que ».
Ils ont compris intuitivement ce que Tsipursky explique dans son langage savant: « Cet engagement avec le titre et les premiers paragraphes, centrés sur les accusations de Trump, amène [le lecteur] à expérimenter « l’ancrage ». Cette erreur de raisonnement bien documentée résulte de la façon dont nous traitons l’information que nous rencontrons en premier. Cette information initiale influence la totalité de notre perspective sur un sujet, colorant tout le contenu que nous recevrons par la suite, même après que nous aurons eu une information plus complète. Le gros de l’information que les gens retiendront d’une telle couverture consistera en une vague impression d’un Trump injustement mis sur écoute par le « méchant » Obama… Cette façon de penser fallacieuse nous conduit à retenir l’information qui contient le plus d’émotion, peu importe qu’elle soit factuelle ou pertinente. »
Et ce n’est pas tout. Deux autres phénomènes psychologiques, eux aussi connus des experts, entrent en jeu:
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nous avons tendance à nous intéresser à l’information qui confirme ce en quoi nous croyons déjà (c’est ce qu’on appelle le biais de confirmation);
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le fait de percevoir un individu sous une lumière positive nous conduit à voir tout ce qui l’entoure sous une lumière positive (c’est ce qu’on appelle le phénomène du halo).
C’est grâce à une habile manipulation de ces deux concepts, doublés d’une habile stratégie pour envahir les réseaux sociaux, qu’en décembre dernier, un électeur républicain sur deux croyait que Trump avait gagné le vote populaire (il l’a perdu par 3 millions de voix), alors que seulement 7 % des électeurs démocrates y croyaient. C’est aussi à cause du biais de confirmation, du halo et d’une habile utilisation des médias au fil des années, qu’une personne d’allégeance conservatrice a davantage tendance à nier le réchauffement climatique. C’est également ainsi que les stratèges de l’industrie du tabac ont compris qu’en répétant souvent qu’il subsistait un doute sur le lien entre tabac et cancer, un doute allait s’instaurer dans la population.
Notre cerveau est pratiquement fait sur mesure pour croire aux fausses nouvelles, a renchéri ces derniers mois le neurologue Daniel Levitin, de l’Université McGill. Ainsi que ses collègues américains D.J. Flynn et Brendan Nyhan, ainsi que le spécialiste de la perception du risque David Ropeik, et d’autres encore. Notre cerveau est paresseux, répète depuis quelques années le psychologue de la cognition Daniel Kahneman, et les désinformateurs l’ont compris très tôt.
La solution, selon tous ces experts? Un peu d’éducation aux médias ne ferait pas de tort : intégrer davantage de psychologie cognitive et de sciences du comportement dans le journalisme et dans la vulgarisation serait un premier pas. Parce que les « trucs et astuces » des habiles désinformateurs sont connus — dans certains cas, ils sont connus depuis très longtemps. Mais c’est une chose que d’en parler entre experts, et c’en est une autre que de les appliquer dans notre propre lecture de nos médias préférés.