Camille Poliquin, alias Kroy, livrait jeudi soir son premier concert à Montréal après le lancement remarqué de son album solo Scavenger en septembre dernier.
Elle était de retour, comme une geisha drapée de noir. Devant une poignée d’admirateurs qui remplissaient le théâtre Fairmount, c’est toute la petite clique du Mile–End qui avait accouru pour acclamer leur idole aux paroles noircies et aux cheveux de jais.
De sa voix haute portée vers l‘éther de la grande noirceur de l’espace, la musique de Kroy emboucane les songes. L’autre moitié du duo Milk & Bone nous a livré à l’automne dernier un premier album solo fortement influencé par le trip-hop et l’électro-pop sombre. Là où l’unicité de l’œuvre musicale de Kroy rayonne, c’est dans sa capacité à raconter des histoires tristes sur un air de comptine innocente. Sa voix, haute perchée, pure et cristalline, rend l’expérience du live d’autant plus intéressante, là où le public découvrit pour la première fois les pièces de ce petit joyau d’album. Après avoir assuré la première partie pour quelques concerts de Cœur de Pirate, joué un peu partout au Québec (on l’attend d’ailleurs prochainement à la salle André-Mathieu de Laval), Kroy ne s’était pas encore produit « officiellement » devant le public montréalais. La soirée de jeudi était donc très attendue parmi ses fans de la première heure.
J’ai toujours trouvé que le personnage de Kroy prenait tout son sens en concert. L’album, bien qu’exceptionnellement mixé, ne démontre pas toute la richesse de l’univers sonore de l’artiste. Il lui manque ce petit côté improvisé, la richesse des transitions entre les morceaux, les solos de synthé improvisés, la réverbération des murs d’une salle de spectacle, pour vivre pleinement.
Jeudi soir, ces compositions d’électro-pop aux accents dépressif ont pu prendre leur envol. Les pièces étaient plus polies, convenues que les arrêtes acérées que l’on a pu découvrir au lancement de l’album, au mois de septembre. Malheureusement, certains passages ont été charcutés, comme le passage cacophonique de la fin de Learn cher à plusieurs admirateurs. Il manquait aussi ce petit sentiment d’urgence, l’innocence de ce premier concert de septembre.
L’interprétation est toutefois irréprochable. Citons la magnifique Feet, tirée du premier EP de Kroy. Presque sans percussions, à capella, la voix de Poliquin nous livra une douce rêverie mélancolique dans les vapes de la pénombre. Days, une des plus magnifiques pièces de l’album s’en trouve complètement libérée lorsque jouée en concert. Cette voix pure, encore cette voix, réverbérée dans l’univers des ténèbres, qui se plie tout en souplesse aux inflexions langoureuses du trip-hop, en hommage au grand album Dummy de Portishead.
Kroy nous fit l’honneur de réinterpréter deux classiques empruntés à d’autres artistes. Read my mind de The Killers, dont l’influence sur l’album est indéniable, ainsi qu’une performance mémorable de Going to a Town de Rufus Wainwright.
La première partie était assurée par l’association de Forrest et Douglas Miles. Un duo dont la performance inégale à l’effet de reverb laissa quelque peu dubitatif, oscillant entre une sorte de showgaze électropop acidulée, à la bouillie sonore distordue aux relents de métal. La transition entre le départ de ces derniers et l’arrivée de Kroy se faisant d’ailleurs plutôt abruptement, nos oreilles ne s’étaient pas encore remises du volume ridiculement élevé de cette première performance.
Photos: Xavier Proulx / Pieuvre.ca