Avant de se faire ruiner à petit feu par un univers cinématographique de plus en plus confus et des films de plus en plus déplorables, DC Comics a eu son Watchmen, et Marvel est bien passé à deux doigts d’avoir son Logan. Ce, avant de retomber dans la majorité des pièges qui empêchent habituellement les films de X-Men de se sortir de ce qui les confinent dans la catégorie des divertissements à grand déploiement, sans plus. Néanmoins, pour ce qu’il vaut, Logan a pratiquement tout d’un beau petit miracle et livre sans mal la marchandise.
Pendant près d’une heure trente si ce n’est plus (le film dure un peu plus de deux heures, 137 minutes pour être exact, générique inclus), le pari est grandement relevé puisque le volet final de la saga Wolverine tel qu’interprété par Hugh Jackman ne ressemble à rien de ce qui nous a été présenté précédemment. Prenant les airs d’un western crépusculaire, on se retrouve dans un futur juste assez futuriste pour ne pas se cacher dans ses airs d’apocalypse désertique, et on y suit des personnages dépassés, découragés, avançant indubitablement vers leur propre perte.
Exit les gentillesses, les tours de passe-passe, la simplicité un brin trop superficielle et bédéesque, et place à un monde de détresse, violent et sans pitié. Tout ce qu’on a toujours voulu avoir d’un film de Wolverine y est enfin pour son dernier tour de piste, et c’est tant mieux. Il était temps après tout, dix-sept ans plus tard!
Mieux, le scénario ne néglige aucunement la psychologie et la profondeur (c’est possible apparemment!), y incluant au passage de sages réflexions sur l’importance des relations interpersonnelles et la longévité de ces dernières, et ce sans oublier les épreuves qui se sont imposées pendant ces mêmes relations. C’est là que la performance de Hugh Jackman, reprenant ce rôle qu’il interprète avec une dévotion qui fait honneur au personnage à qui il a plus ou moins donné vie pour tous les mortels du 21e siècle (désolé Stan Lee et sa bande, ou plus précisément Len Wein et John Romita Sr), est sagement bonifiée par la présence du vétéran Patrick Stewart, plus admirable, amusant et touchant que jamais dans la peau d’un Charles Xavier en fin de parcours, personnage tout autant emblématique avec qui il renoue avec une grâce assurée.
Et si la dualité des deux se complète admirablement dans ce qui deviendra rapidement une espèce de road trip qui mène vers un sentiment attendu de défaite (malgré l’idée stagnante et pleine d’espoir d’un havre de paix, du dernier refuge), elle se complétera aussi par des ajouts subtils, mais judicieux. Soit un Boyd Holbrook, raisonnable en méchant de service, un amusant et méconnaissable Stephen Merchant, un toujours bien accueilli Richard E Grant et, surtout, une brillante et souvent hallucinante Dafne Keen, lorsqu’elle ne parle pas trop, dans le jeune rôle de Laura. Métaphore inévitable et nécessaire de la jeunesse, de l’avenir et bien sûr de l’espoir, ce sera la pièce manquante au puzzle pour créer une trinité aussi acérée que les trois lames rétractables des mains de notre héros (ou antihéros selon les points de vue).
De plus, ce qui est encore mieux dans cet ultime épisode de Wolverine, c’est que mis à part les références, discrètes ou directes, le film vit et s’écoute de lui-même. Il appartient à son propre univers et sa propre temporalité et libre aux interprétations de dire auxquels des films précédents il se lie réellement. Et ce sentiment d’unicité, tout comme de la liberté que cela implique est essentiel ici. Cela permet à James Mangold de se surpasser, d’offrir des séquences d’actions musclées et sanglantes, tout comme des moments plus intimes qui attendrissent tout comme ils inquiètent grâce à ce suspense constant de la menace qui guette. Rapprochant ainsi davantage son nouveau film de son remake de 3:10 to Yuma plutôt que de son passable The Wolverine.
Mangold a après tout collaboré au scénario pour la première fois depuis Walk the Line, s’épaulant de deux scénaristes au curriculum particulièrement varié capable du meilleur (The Lookout) tout comme du pire (Green Lantern). Ce, sans oublier une sensible et attentive trame sonore du toujours génial Marco Beltrami et d’une direction photo très soignée de John Mathieson.
Sauf qu’après les fleurs, le pot et le film doit quand même s’embourber de raccourcis qui font grincer des dents et qui enlèvent un peu de mérite aux scènes les plus efficaces (comme de nombreuses passes humoristiques inattendues, mais d’une succulente justesse), telle cette tablette qui décide de manquer de piles durant l’écoute d’une vidéo nécessaire pour faire avancer l’intrigue. Parce qu’au fond, c’est cette histoire et lorsqu’on s’y concentre trop que le film devient le moins efficace et le moins mémorable. Plus intéressant dans ses moments d’errances et d’hésitations, on réalise rapidement que tout ce qui a du poids scénaristique est rapidement un boulet et on y adhère aussi difficilement que ces nombreuses répliques pré-machées que la majorité des interprètes tertiaires et au-delà ont de la misère à livrer avec conviction (Elizabeth Rodriguez la première).
C’est ainsi, après un premier tiers et une bonne partie du deuxième, nourris d’une assurance intimidante, que le film commencera à avoir peur de ne pas offrir tout ce qu’on attend de sa personne. Et défilera rapidement une liste d’éléments à cocher qu’on évitait sagement jusque-là, transformant toujours un peu plus le film en un film de X-Men comme on les a toujours connus. Invraisemblances, scènes chaotiques, dialogues creux et une galerie de personnages seulement là pour faire avancer ou stagner l’histoire, en plus de métaphores grosses comme le bras (le plan final est d’une stupidité plus inquiétante qu’un moment infini de tendresse comme on le souhaitait) et d’une distribution d’enfants tous plus mauvais et pathétiques les uns des autres (est-ce si dur de nous faire croire à la douleur et aux blessures?).
En moins de trente minutes, Logan parviendra pratiquement à nous faire oublier toutes les raisons qui nous donnaient jusqu’alors envie de presque crier au génie et ce sera profondément dommage. Puisque soudain trop préoccupé au futur et au désir d’hommage, on s’éloignera de ce qui compte vraiment, délaissant les éléments les plus importants pour ceux qui ne comptent pas autant.
On repassera donc pour la passation du flambeau et on repensera, rêveurs aux premiers instants de ce Logan, petit diamant abimé et improbable dans un univers Marvel qu’on croyait pourtant connaître comme le fond de notre poche. Pour la surprise, on saura au moins se sentir reconnaissant et encenser la chose.
7/10
Logan prend l’affiche en salles ce vendredi 3 mars.
À noter que la version présentée aux journalistes était dénuée de scène cachée, mais selon les rumeurs, on en aurait rajouté une juste à temps pour sa sortie en salles.