Terminées, les visites menées par un guide-accompagnateur. Terminée, l’ère des casques d’écoute en location. Terminée, l’interdiction de prendre des photos à l’intérieur des salles d’expositions. Le virage numérique et les téléphones intelligents ont considérablement transformé l’espace muséal. Bienvenue dans l’univers des musées 2.0, où la technologie a pris d’assaut la culture.
Les institutions culturelles se sont énormément transformées au cours des 20 dernières années. Les musées doivent se repenser et évoluer afin de demeurer attrayants à travers les époques. Ils sont en constante progression. Ils s’adaptent aux tendances et aux nouvelles technologies afin d’être perçus positivement par les populations. « La technologie dans les musées est devenue presque un incontournable, confie Yves Bergeron, professeur au département d’Histoire de l’art et du patrimoine à l’UQAM. Aujourd’hui, certains vont même acquérir des œuvres numériques, qui ne sont pas matérielles. Ainsi, les musées se procurent des équipements spécifiques qui doivent être mis en place pour exposer cette nouvelle forme d’art. Avec la technologie, les médiums se transforment de plus en plus », confirme-t-il.
La technologie au service de la mission
Désormais, la plupart des musées fournissent une connexion internet sans fil à leur visiteur et il suffit de posséder un téléphone intelligent pour avoir accès à une foule d’informations gratuitement. Une fois l’application téléchargée, le cellulaire se transforme en guide virtuel qui accompagne le visiteur tout au long de l’exposition. Au lieu de lire les encarts et les fiches explicatives, le visiteur est amené à suivre un parcours multimédia interactif qui l’informe sur l’œuvre, sur l’inspiration de l’artiste et sur son histoire. L’utilisateur bénéficie alors de vidéos et de trames audio complémentaires pour bonifier son expérience.
L’apport de la technologie a permis au Centre commémoratif de l’Holocauste à Montréal (CCHM) de revitaliser une section complète consacrée à des lettres historiques exposées auparavant derrière une vitrine. Les papiers froissés, usés et déchirés ont été transposés dans une application et les visiteurs peuvent désormais décrypter les messages codés en yiddish à partir de leur appareil mobile, le tout accompagné de photos d’archives et de témoignages vidéo. Aussi, dans certains musées, des bornes numériques sont placées à la fin de chaque section de l’exposition afin de permettre aux visiteurs de tester leurs connaissances sur ce qu’ils viennent tout juste de voir et d’apprendre grâce à de petits jeux-questionnaires interactifs.
Dans le cas des musées sociétaux et à vocation éducative, cet apport de la technologie vient renforcir leur mission. L’interactivité dans les expositions augmente grandement l’engouement et favorise l’apprentissage. Selon M Bergeron, « les groupes scolaires représentent en moyenne 10 % à 12 % de l’achalandage dans les musées québécois. Même si ce chiffre peut paraître minime, cette clientèle n’en demeure pas moins importante, car elle permet aux musées de fidéliser leur clientèle, et ce, dès un très jeune âge. Les jeunes découvrent et apprennent tout en y prenant plaisir. Plus ils commencent tôt à fréquenter les musées, plus ils ont tendance à revenir par la suite et à développer des habitudes et un goût pour la culture, constate-t-il ».
Les réseaux sociaux transforment la règlementation
En effet, la popularité des réseaux sociaux force les musées à assouplir leurs règles afin de s’adapter à cette nouvelle tendance. Avec l’arrivée des appareils intelligents, les visiteurs ont désormais libre accès à la prise de photos à l’intérieur des salles d’exposition, ce qui était pourtant formellement interdit. De plus en plus de musées font preuve d’initiatives en ce sens, car il ne faut pas se leurrer, les réseaux sociaux sont des outils promotionnels efficaces pour créer un engouement sans investissement monétaire. Ainsi, les visiteurs se prennent en photo devant leur œuvre favorite, puis ils la partagent au sein de la communauté d’internautes. Que ce soit via un compte Facebook ou Instagram, les légendes et les commentaires attachés à chaque image diffusée permettent de promouvoir l’exposition et fournissent aux musées de la publicité gratuite. En 2015, le Los Angeles County Museum of Art (LACMA) a poussé l’exercice encore plus loin en invitant les gens à publier de courts vidéos à l’aide de l’application Snapchat, qui permet de créer un contenu web multimédia qui reste visible durant 24 heures avant de disparaitre. Le but : attirer les jeunes vers la culture par la création de contenus humoristiques et attrayants à l’intérieur même du musée, le tout afin de rendre l’Histoire de l’art amusante. Même si l’expérience peut sembler paradoxale avec le concept muséal lié à la conservation, les publications pourtant éphémères des visiteurs ont mené à une grande réussite. En seulement quelques mois, le nouveau compte Snapchat du LACMA a atteint 160 000 abonnés.
Les grands musées d’Europe suivent aussi cette tendance. Cependant, le phénomène dénature en quelque sorte l’atmosphère du musée pour laisser une ambiance quelque peu chaotique. Selon Éric Gibson, critique en Art du Wall Street Journal, le phénomène est devenu presque incontrôlable : « Au Louvre, étant donné la popularité de l’œuvre de Léonard de Vinci, il était déjà difficile de contempler le portait de la Mona Lisa, désormais on y retrouve des gens attroupés et qui tentent de prendre temps bien que mal un cliché ou encore de se prendre en photo avec la Joconde cachée par la masse. » En effet, pour certaines personnes l’expérience muséale se transforme en une expérience narcissique par la prise d’égoportrait au lieu d’être une occasion de réellement apprécier la vocation éducative et intellectuelle de la visite. Ainsi l’apport à la technologie peut être perçu comme une lame à double tranchant « Pour les puristes qui ont toujours considéré une visite au musée comme étant un peu une chapelle de la connaissance, ça les désole de voir ça, affirme Yves Bergeron, mais en même temps les administrateurs de musées, eux, ne voient pas ça du même œil, puisqu’ils font tout en leur pouvoir pour attirer le plus de monde possible », rappelle-t-il.
Une application pour promouvoir les musées d’ici
La Société des directeurs des musées montréalais (SDMM) et ses partenaires, le Conseil des arts de Montréal et le Patrimoine canadien, ont lancé en 2014 l’application gratuite Musées Mtl, qui permet de rester à l’affut des nouveautés, des expositions en cours ou celles à venir dans 41 institutions muséales situées dans la métropole québécoise. Tout d’abord, Musées Mtl a vu le pour les détenteurs de iPhone, mais depuis l’été 2016, l’application est désormais compatible pour les appareils Android. Ainsi, tous les mordus de culture d’ici maximisent leur temps de recherche selon leurs préférences et leurs champs d’intérêt, tout en bénéficiant d’un service de géolocalisation qui affiche en temps réel les musées à leur proximité. Une bonification pour le réseau muséal montréalais, souligne M. Bergeron, « puisque même s’ils ne sont pas très nombreux, il y a aura toujours des fidèles, des gens qui s’intéressent réellement aux œuvres, aux artistes et aux thématiques d’expositions. Ceux-là se préparent avant leur visite, ils lisent sur le sujet avant de se déplacer. Donc pour eux l’application les amène réellement plus loin et ils pourront profiter pleinement de l’expérience offerte. » Toutefois, ceux qui ne possèdent pas d’appareil mobile pour toutes sortes de raisons telles que le coût, l’accessibilité liée à la fonctionnalité et à la compréhension, comme c’est le cas pour les personnes plus âgées, sont en quelque sorte pénalisés, car avec le virage technologique l’expérience muséale se transforme sans aucun doute partout sur la planète.