Chloé Ouellet-Payeur
L’Agora de la danse entame son second quart de siècle d’existence dans un nouvel espace au cœur de la Place des Festivals, un espace que le milieu de la danse attend depuis quelques années, l’édifice Wilder. Toujours en chantier, l’édifice est déjà habité depuis un mois par les danseurs de l’École de danse contemporaine de Montréal. Il accueillera également le diffuseur de danse contemporaine Tangente et, un peu plus tard, les Grands Ballets Canadiens. La compagnie MAYDAY, qui célébrait récemment son dixième anniversaire, a l’honneur d’ouvrir cette nouvelle saison de l’Agora de la danse et par le fait même de signer le premier spectacle du Wilder, Animal triste.
En mode survie, créant avec peu de moyens comme la plupart des compagnies de danse et de théâtre montréalaises, MAYDAY avance « courageusement », pour reprendre les mots de sa directrice artistique Mélanie Demers dans l’infolettre de décembre 2016.
Si la réalisation de ce nouveau bâtiment dédié à la danse semble promettre un avenir meilleur, mieux équipé, un soutien important à ce milieu qui se bat quotidiennement pour survivre, la pièce Animal triste nourrit peu d’espoir. En effet, les créations de la compagnie MAYDAY soulèvent d’abord le côté obscur de notre condition humaine. Si ses pièces précédentes donnaient envie d’aspirer au changement, celle-ci démontre plutôt notre naïveté, la bêtise de croire que nous arriverons à changer le monde. Dans ce spectacle, la chorégraphe Mélanie Demers amène quatre interprètes puissants à oser nous montrer qu’ils portent en eux toute la détresse de l’Humain occidental du XXIe siècle.
Sur scène, une trentaine de projecteurs sont disposés à même le sol de manière à former un grand carré. Pointés vers le centre de la scène, souvent éteints, ils entourent un espace si sombre qu’on ne devinerait même pas la présence du tapis de danse. On peut imaginer un écran géant éteint, ou un trou sans fond. On se doute que cet espace obscur donnera lieu à des scènes épiques. Disposés autour de ce grand carré noir dans lequel ils interagiront bientôt, les danseurs se préparent. Comme dans un rituel, ils placent soigneusement leur collier de perles et se vêtent. Ils observent l’espace et semblent appréhender leur entrée dans celui-ci.
Par une évolution commune graduelle du discours intérieur de corps qui nous semblent constamment déchirés entre une envie de total laisser-aller et une force de retenue, l’œuvre se développe doucement. Tout en nuances, presque contemplative par moments, elle se construit grâce à de subtiles transformations dans l’engagement des interprètes plutôt qu’à des changements d’ambiance drastiques. Le raffinement est délicieux. On voit se développer un état complexe où les poings se serrent et les corps se tordent, un état duquel les interprètes se sortent tour à tour pour observer leurs collègues. On devine alors de brèves prises de conscience de l’absurdité de leurs efforts dans cette physicalité à laquelle ils retournent pourtant inévitablement. Tels des singes essayant de poser dans un championnat de culturisme, leurs efforts sont importants, mais vains. Leurs corps semblent torturés de l’intérieur et nous offrent une gestuelle moins explosive que celle à laquelle on s’attendrait.
Avec l’intensité de la musique et une tension spatiale grandissante qui annoncent la venue d’un événement des plus épiques, une soif d’action grandit en moi. Cette soif s’apparente à celle que l’on ressent devant un match de lutte. Suivant des élans communs, les corps des interprètes sont pris de puissantes impulsions rapidement freinées, contenues. Si elles s’échappent pleinement par moments, elles n’assouvissent pas ma soif. Elles me livrent plutôt un aperçu, me laissant deviner leur plein potentiel.
Puis, les interprètes prennent des pauses, ils posent, comme s’ils essayaient de mettre de l’avant leurs nobles attributs. Portant fièrement leur énorme collier de perles, ils se promènent en bande pour nous offrir des images de portraits de famille, traversant toute la palette des comportements sociaux humains. Plusieurs images oscillant entre tendresse et violence sont particulièrement puissantes. Ils nous font voyager du social à l’intime, du comportement superficiel à la tragique prise de conscience.
Amenée à la scène une première fois pour l’édition 2016 du Canada Dance Festival, la pièce Animal triste a accueilli deux nouveaux interprètes, puisque Brianna Lombardo et James Gnam ont dû être remplacés. Auprès de Marc Boivin et Riley Sims qui faisaient partie de la distribution originale, Chi Long et Francis Ducharme se sont donc joint à l’équipe. Ils présentent cette nouvelle version d’Animal triste au premier étage du nouvel édifice Wilder (1435 Bleury) jusqu’au 25 février.
Avant même que la vidéo promotionnelle du spectacle ne soit diffusée, ceux qui suivent MAYDAY ont pu lire sur la page Facebook de la compagnie de courts textes touchants au sujet de chaque interprète d’Animal triste. On fait l’éloge d’un Marc « à fleur de peau », d’un Francis « incandescent », d’une Chi « envoutante » et d’un Riley « force de la nature ». Ceux qui connaissent le travail de MAYDAY savent que les danseurs y sont sollicités pour leur sensibilité personnelle et qu’ils contribuent grandement à l’élaboration du langage chorégraphique. Cependant, les danseurs sont généralement peu mentionnés dans les médias. Leur apport artistique est peu reconnu. En partageant ces mots, la compagnie place symboliquement les projecteurs sur ceux qui sont littéralement sous les projecteurs, ces artistes qui inspirent la création et qui prennent le risque de se dévoiler sur scène.
Amenant à la réflexion, alliant poétique et politique, le travail de la compagnie MAYDAY est un incontournable de la scène contemporaine montréalaise.