Les fausses nouvelles ne constituent en rien un phénomène nouveau, selon Dominique Brossard, directrice du département de communication scientifique à l’Université du Wisconsin. « Ce qui a changé, c’est plutôt l’environnement médiatique dans lequel la science évolue », affirme-t-elle. La chercheuse était invitée à intervenir ce weekend sur l’impact des fausses nouvelles et de celui des réseaux sociaux sur la communication scientifique lors du congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences.
Bien des choses se cachent sous le terme « fausses nouvelles »: des inventions complètement farfelues au journalisme désespérément paresseux. Tourner les coins ronds, lorsqu’il s’agit de traiter de nouvelles en science, s’avère aussi un phénomène fréquent et préoccupant, précise-t-elle. La chasse aux clics, qui permet au diffuseur d’engranger des revenus publicitaires, fait en sorte que les médias utilisent le meilleur appât à leur disposition: la tendance très naturelle de l’être humain à vouloir confirmer ses propres opinions.
Invité à cette même conférence, Dan Kahan, professeur à l’École de droit de l’Université Yale, résume ainsi nos choix de lecture: on lit une nouvelle parce qu’on est, de manière inconsciente, en accord avec elle. Cela se manifeste de manière frappante quand les lignes de parti s’entrecroisent avec certains sujets d’actualité. Quelle que soit leur allégeance politique, les Américains s’entendent sur des sujets comme la radiographie (rayons X), les lignes électriques à haute tension ou les nanotechnologies. La fracture éclate lorsqu’on les interroge sur les changements climatiques ou le contrôle des armes à feu, des sujets tellement polarisés qu’ils font désormais partie intégrante de l’identité du parti. Or, rappelle le chercheur, émettre un avis contraire à celui de son groupe social a un coût énorme : l’exclusion pure et simple, y compris de celui de la famille et des amis. Transformer les faits pour qu’ils correspondent à nos opinions, en comparaison, n’a aucune conséquence à court terme.
La faute aux médias sociaux
Les médias sociaux sont-ils la cause de tous ces maux ? Pas si vite, tempère Dominique Brossard: « Le problème réside dans le fonctionnement du cerveau, pas les médias sociaux. » Nous sommes en effet des picoreurs d’informations. Nous aimons lire, apprendre, nous amuser, mais avec un minimum d’effort. Analyser, décrypter, vérifier ? Cela demande bien trop d’énergie à notre cerveau. Dans toutes ses tâches, ce dernier a la fâcheuse tendance d’aller au plus facile. Et cela, que nous soyons membres du public, journalistes… ou chercheurs.
Que faire, alors? Sensibiliser le public, oui. Dominique Brossard ne pense toutefois pas que les lecteurs s’adonneront au fact-checking, la solution du moment, pour valider chaque article lu et partagé. Elle a également bien peu d’espoir en la vérification des faits proposée récemment par Facebook, en raison de la définition très floue des « fausses nouvelles ». Elle se méfie d’ailleurs de ce terme, sujet à l’interprétation et à la division.
Pour elle comme pour Dan Kahan, il est essentiel d’éviter toute dichotomie: vraies et fausses nouvelles, grand public et scientifiques, eux et nous. Cela entraîne forcément une polarisation. Or, il est très facile de polariser un sujet d’apparence anodin en profitant des lignes de fracture, rappelle Dan Kahan. Il suffit de l’associer à un autre sujet déjà polarisé. Dans une étude récente, il n’a pas été surpris de voir que les mêmes associant l’épidémie de Zika aux États-Unis à l’entrée d’immigrants ont trouvé une audience bien différente de ceux liant la nouvelle dispersion du virus aux changements climatiques.