« On prend soin de notre société comme on prend soin de nos oeuvres d’art publiques. » La déclaration a des allures de charge revendicatrice contre l’État, mais si Suzanne Guy est en croisade, son objectif consiste plutôt à mettre en valeur ce patrimoine artistique qui a tendance à se fondre dans le paysage. Et – pourquoi pas? – alimenter une discussion sur l’importance d’aller au-delà d’un rapport purement comptable face à la vie en société.
Attablée dans un petit café du Plateau-Mont-Royal, la réalisatrice est fière du travail accompli: la troisième partie de sa toute nouvelle série de documentaires À tout hasard sera présentée jeudi au Musée des beaux-arts de Montréal.
« Il s’agit de la deuxième saison de la série, la première, Vu par hasard, ayant été présentée sur ARTV… Je ne suis pourtant pas une personne qui croit au hasard, mais plutôt aux rencontres. C’était pour dire qu’on n’a souvent pas rendez-vous avec une oeuvre d’art public. Tout cela émerge d’un film tourné auparavant, Scrapper l’art, qui parle du peu de considération que l’on a envers les oeuvres d’art publiques. C’est un film sur le questionnement entourant des oeuvres qui disparaissent tranquillement du paysage », mentionne Mme Guy.
« Quand j’ai fait ce film-là, qui était assez triste, je me suis dit que j’avais envie de parler de ce qui va bien, également, et c’est ce que j’ai proposé à ARTV, soit de faire une série documentaire sur cette question. On voulait raconter de bonnes histoires, car oui, chaque artiste peut aussi parler d’histoires difficiles… »
Pour la réalisatrice, obtenir l’aval d’ARTV comportait aussi sa part de risques: « C’est difficile de parler d’arts visuels à la télévision, parce que c’est un peu le parent pauvre… Souvent, les gens produisant de l’art visuel ne sont pas nécessairement connus. Cela dit, ce sont des personnes qui ont beaucoup de choses à dire, et si tel n’est pas tout à fait le cas, les questions que je pose les font parler. »
« C’est intéressant de faire une série sur l’art public au Québec, parce que la politique d’intégration d’oeuvres d’art dans l’architecture s’applique à travers la province. Il y a donc des oeuvres d’art partout. Il y en a beaucoup qui sont confidentielles, qui ne sont pas connues, mais c’est souvent tributaire de notre visite à des endroits où on ne pensait pas voir des oeuvres d’art. Il y en a plus de 3000 sur le territoire! »
« Il s’agit aussi de découvrir les oeuvres de façon privée, personnelle », mentionne Mme Guy. D’ailleurs, cette dernière souligne que bien souvent, lors de l’inauguration d’un nouveau bâtiment public, tout le crédit est octroyé à l’architecte, par exemple, en laissant l’artiste ou les artistes de côté.
La population a cependant le temps d’apprivoiser ces nouvelles créations, souligne la réalisatrice. « Une oeuvre d’art publique, c’est fait pour se fondre dans le paysage, c’est sur le long terme, question de la voir, de la revoir, de la fréquenter… C’est un peu paradoxal, parce que c’est parfois directement dans notre face, mais un jour, on marche un peu plus lentement, on est un peu plus tranquilles, et tout à coup, on lève les yeux et on remarque quelque chose qu’on n’avait jamais vu, mais qui était déjà là. Je crois que c’est ça la rencontre, c’est ça le hasard. »
État des lieux
L’art va-t-il mal au Québec? « La façon que j’ai adoptée pour travailler sur les deux séries a été de choisir des oeuvres, et ensuite d’aller voir l’artiste. Il fallait que je puisse connaître ces oeuvres et les aimer pendant longtemps. J’ai rencontré beaucoup de gens passionnés par leur travail qui ont envie de continuer à créer des oeuvres. Je n’ai pas franchement rencontré la morosité, mais il y a beaucoup d’artistes en arts visuels qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois. Il faudrait peut-être protéger encore plus les créateurs d’arts visuels. Cela passe par la visibilité et par les médias, qui ne parlent pas tant que ça d’arts visuels. »
Petite pique de la réalisatrice envers le vedettariat, d’ailleurs, et envers l’espace médiatique que les « potins » et autres discussions reliées monopolisent.
Autrement, lorsqu’il est question d’art public dans les grands médias, c’est pour parler des problèmes découlant de l’installation d’oeuvres, ou plutôt du mauvais entretien de celles-ci. La démolition de la sculpture offerte par Paris installée près de la Place royale, à Québec, la controverse entourant le square Viger, à Montréal, le possible déménagement de l’Homme de Calder… Aux yeux de Mme Guy, les oeuvres d’art publiques sont souvent mal aimées, et ne méritent de l’attention que lorsqu’elles ont un urgent besoin d’entretien, ou qu’il est trop tard pour tenter de les retaper.
Malgré tout, Suzanne Guy est très loin de vouloir jeter l’éponge, et sa série À tout hasard témoigne en fait d’un amour de l’art public, et d’un désir de s’échapper d’une structure décisionnelle basée sur l' »argent des contribuables ». Construisons bien et sans trop dépenser, sans doute, mais, surtout, prenons le temps de créer du beau et de l’apprécier. La réalisatrice va même jusqu’à suggérer de consacrer une (petite) portion des revenus des grandes entreprises pour financer l’art public…
La troisième partie de la série À tout hasard sera présentée jeudi 25 février à 18h au Musée des beaux-arts de Montréal, et prochainement sur ARTV.