Asghar Farhadi est l’un des grands cinéastes de notre époque et il fait rayonner son cinéma avec une évocation qui a des répercussions dans les quatre coins du globe. Face au récent scandale dont il est victime, nul doute que son magnifique nouveau long-métrage s’avère plus pertinent à écouter que jamais.
Fort d’une maîtrise technique qui frôle la perfection, The Salesman permet au cinéaste de renouer avec l’Iran après avoir livré le bouleversant film français Le Passé. Moins politique que l’était le magistral Une Séparation, et peut-être un brin moins percutant, le film n’en demeure pas moins marquant.
Visant de plein front le côté nomade et artistique de la société, il continue de ruminer ses thèmes de prédilections et construit une nouvelle tempête dans un verre d’eau qui prend une ampleur toujours plus stressante et imposante. Élevant ses drames sociaux au statut de suspense psychologique nerveux, il y raconte la relation tendue d’un couple qui voit leur quotidien ébranlé lors de l’évacuation immédiate de leur logement. Viendra ensuite un incident hasardeux dans leur résidence temporaire qui poussera le film dans les sentiers du Prisonners de Denis Villeneuve.
Emportant comme questionnement celui du désir de justice et de vérité, les remords reviennent au cœur du récit de Farhadi et un tourbillon d’émotions s’ensuit pour pousser les acteurs au sommet de leurs capacités. Toutefois, dans ce combat des torts et de la raison, ce qui est toujours le plus fascinant chez le cinéaste c’est la notion de culpabilité qu’il ressasse constamment, au point de réaliser que sa nuance se démarque de bien d’autres dans sa façon de rendre tous ses personnages coupables de leur propre sort.
Ainsi, face à une tension toujours grandissante, on réalise rapidement que chaque geste a ses conséquences et qu’il est bien rare que celles-ci soient ne serait-ce qu’un brin positives. C’est de cette manière qu’il joue sur les appréhensions, laissant le spectateur dériver ici et là de ce qu’on pourrait s’attendre à voir arriver et le film capte notre intérêt pendant qu’on est rivé sur notre siège du début jusqu’à la fin.
Mieux, Farhadi n’utilise pas son cinéma pour rendre des comptes. Il touche à une multitude de problèmes, mais laisse toujours ses personnages et leur humanité (dans toutes ses forces et ses faiblesses), prendre le dessus sur tout. Les métaphores deviennent alors plus ou moins subtiles selon les spectateurs, mais la force évocatrice demeure entière et profondément sincère.
C’est ainsi qu’en utilisant la création d’une adaptation de The Death of a Salesman au théâtre, on donne lieu à une mise en abyme d’une grande justesse, permettant à Farhadi de parler autant de la jeunesse, de la société que de la censure, sans pour autant en faire un plat ou un cas. Cela lui donne aussi l’inspiration nécessaire pour mettre le doigt sur plusieurs idées particulièrement géniales au niveau de la mise en scène, n’en déplaise à un finale un peu abrupte, amenant de loin l’un de ses films les plus ambitieux.
Après tout, avec The Salesman, il n’est plus seulement question de romance ou de rupture. Il est question d’égoïsme, oui, comme c’est souvent le cas, mais également d’un traumatisme à plus grande échelle que ce à quoi le cinéaste nous a habitués. De fait, l’interrogation a ainsi évolué. Le manque de résolution ne tient plus à savoir lesquels des personnages se sépareront ou s’uniront puisqu’ils sont déjà bien isolés de par multiples façons. Non, il est plutôt question ici de survie, de voir qui passera l’épreuve du temps et des circonstances inquiétantes de notre époque. Et juste pour avoir mis le doigt avec assurance sur une insécurité qui nous habite toujours plus chaque jour, encore plus face au contexte actuel, on doit sans honte élever Asghar Farhadi au rang des visionnaires, oui, mais aussi des génies, aussi incompris peuvent-ils parfois être.
8/10
The Salesman prend l’affiche en salles ce vendredi 3 février.