Emmanuelle Ceretti-Lafrance
Tout a commencé avec Un, Deux et Trois, une trilogie sur l’identité personnelle et collective. Puis, vinrent Ils étaient quatre et Cinq à sept, deux pièces qui parlent de rencontres, de vie d’adulte et d’amitié. Mani Soleymanlou présente donc la finale de ce cycle d’écriture, 8, jusqu’au 28 janvier à la Cinquième salle de la Place des arts.
Il n’est pas nécessaire d’avoir vu les précédentes œuvres de Mani Soleymanlou pour comprendre la pièce. 8 est sans aucun doute une œuvre entière. Seule la distribution se veut une continuité. Celle-ci est impressionnante. Éric Bruneau, Guillaume Cyr, Kathleen Fortin, Julie Le Breton, Jean-Moïse Martin, Geneviève Schmidt et Emmanuel Schwartz partagent la scène avec Soleymanlou. Lorsque le public entre dans salle, Mani et Emmanuel sont déjà sur scène, parlant à voix basse et se faisant face. Les lumières se ferment. Les acteurs entrent en scène et se placent en ligne, les uns à côté des autres. Ils regardent vers l’avant et s’adressent à la personne devant eux, que ce soit le public ou les interprètes. Ceci vient ainsi briser la notion de quatrième mur, esthétique que Soleymanlou a utilisée abondamment dans ses créations précédentes. Ils sont tous vêtus de noir, neutre, et ils jouent leur propre rôle. Ou du moins une version légèrement caricaturale d’eux-mêmes. Cela rend les acteurs attachants, autant dans leurs travers que dans leurs essences. La mise en scène est simple, mais efficace. La musique et l’éclairage viennent ponctuer les changements de scènes et d’atmosphère. Cela ajoute de la théâtralité où Mani Soleymanlou semble avoir voulu en enlever le plus possible.
La pièce est divisée en deux parties de 45 minutes, sans entracte. Le premier 45 minutes se veut une reconstruction du remue-méninge de création. « Qu’est-ce qu’on veut dire? » Quarante-cinq minutes où les acteurs disent qu’ils veulent aller plus loin, qu’ils veulent que leur création ait un sens, un sens important. Que le théâtre devrait vouloir dire quelque chose de significatif. Que cela devrait rassembler les foules, toucher quelque chose de différent en l’humain, que cela devrait être gros. Le deuxième 45 minutes raconte un party. Seulement, il ne s’agit pas d’une fête ordinaire. Cela se passe le 6 novembre 2016, le soir des élections américaines.
C’est à la suite de ces événements déjà historiques que l’auteur a pris la décision de réécrire presque entièrement sa pièce. Il s’agit d’un choix risqué. Retravailler une pièce déjà écrite en si peu de temps est un défi de taille. En effet, la contrainte de temps semble avoir affecté le résultat final. Le spectacle a certainement une prémisse intéressante, mais reste encore un peu brouillon. Rien qu’un mois ou deux additionnelles de répétition n’aurait pas réussi à arranger. Les propos et les émotions sont très certainement en rendez-vous. Ce qui est manquant est tout simplement un fil narratif afin de lier le comique et le sens, le divertissement et les arguments politiques.
Toutefois, 8 réussit sa mission: faire entendre une opinion. Que le spectateur soit d’accord avec celle-ci ou non n’est pas important. L’important est d’avoir été entendu.