Race avait tout pour représenter l’apothéose cinématographique du cinéma actuel et rassembleur. Toutefois, on a l’impression que malgré des qualités évidentes, le long-métrage se contente d’une propagande américaine typique tout en passant à côté de ses aspects les plus intéressants.
On y raconte l’histoire de Jesse Owens, un athlète olympique afro-américain qui a tout changé lors des Jeux olympiques de Berlin en 1936, trouvant le moyen de traverser à la fois les barrières du racisme, mais aussi du nazisme. Telle une liste à cocher, cet inspirant fait vécu brasse dans un seul et même film une quantité impressionnante de sujets qui habituellement peuvent s’enligner pour récolter de beaux honneurs.
Malheureusement, on doit peut-être reprocher à cet imposant projet d’avoir été confié aux mains boiteuses de Stephen Hopkins et ses affreux intertitres envahissants, à la réalisation, et des nouveaux venus Joe Shrapnel et Anna Waterhouse, qui en sont à leur deuxième scénario. C’est que le film s’emmêle dans ses propres ambitions et on a l’impression qu’il poursuit trop de chevaux à la fois, ne parvenant à ne jamais vraiment développer ce qui semble véritablement important.
C’est qu’au-delà de cet homme noir qui est étudiant et père de famille, tout en aspirant à mieux pour sa jeune famille, il y a toute la cause raciale qui se met en place face à une société qui ne demande qu’à évoluer (la fin anecdotique a quelque chose de merveilleux et de plus puissant qu’on ne semble l’accorder). Loin de Selma toutefois, le film s’apparente davantage au plus satisfaisant 42, qui s’avérait plus habile dans sa façon de jongler avec le sport et les problèmes raciaux.
On y trouve d’ailleurs des qualités semblables, allant de la justesse de la distribution qui dissimule ici et là de gros noms, comme Jeremy Irons qui rappelle Harrison Ford dans le film de baseball, jusqu’au soin apporté à la reconstitution historique, des costumes aux décors. Après tout, l’ensemble ou presque de la partie Berlin frappe avec panache notamment dans sa représentation de l’immense colisée. C’est d’autant plus excitant lorsqu’on se permet une escapade dans les coulisses du documentaire marquant qu’est The Triumph of the Will avec une Carice Van Houten qui donne tout ce qu’elle a dans la personnification passionnée de la tout autant investie Leni Riefenstahl.
Certes, Stephan James manque peut-être d’un je-ne-sais-quoi pour soutenir un film en entier sur ses épaules, ce qui rassure de le voir entouré de figures plus habituées comme l’Allemand David Kross qu’on reconnaît de ses débuts américains dans le marquant The Reader aux côtés de Kate Winslet, mais aussi d’une présence inattendue de Jason Sudeikis qui trouve son premier rôle dit dramatique. D’accord, pendant un petit bout il ne sait pas trop sur quel pied danser dans ce rôle aux allures autoritaires, mais lorsqu’il se trouve enfin, le comédien habitué de faire des pitreries continue de satisfaire et d’élargir sa palette de jeu.
Pour le reste, le long-métrage a ce sentiment réducteur. Ce qui est dommage face à une parenthèse aussi essentielle de l’histoire puisqu’on aurait aimé voir en cette histoire un mouvement d’espoir et de force plutôt que de s’interroger sur le véritable rôle des États-Unis dans tout cela (ces glorieux chants scandant « USA » à tue-tête sont plus hantant que d’autres choses), tout comme de la véritable signification de cette course qui ne compose qu’un infime pourcentage de tous les Jeux olympiques (le film donne l’impression que rien d’autre n’avait d’importance, même pour Hitler). Les écriteaux finaux, cherchant volontairement à nous indigner, poursuivent également cette idée de déception, démontrant l’injustice de ce monde.
Et ce sentiment-là, étrangement, se retrouve malgré lui dans les fondations du film. Comme quoi Race s’apparente encore à un abus de privilège où l’Amérique trouve à nouveau une façon (moins subtile qu’il ne le croit) de nous vendre à nouveau sa salade pour prouver au reste du monde à quel point il est mieux : face à une crise ou une situation exceptionnelle, l’américain moyen est ouvert d’esprit, coopératif et altruiste (après tout on ne s’attarde pas trop sur tous les racistes qui restent encore au pays). C’est là que le long-métrage manque d’élégance et qu’il coupe court à l’importance de son propre discours, comme quoi Riefenstahl avait alors tout compris, soit qu’il y avait moyen de faire de l’art même avec de la propagande et rendu là, vaut mieux réécouter son chef-d’œuvre pour essayer d’en percer les mystères plutôt que de voir cette sympathique proposition qui se casse la tête à maladroitement cacher les siens.
Owens ne devenant plus qu’un cheval noir dans une nuit enneigée, bien visible en plein milieu du chemin, mais trop sombre pour éclairer l’obscurité, Race étant une dictature plutôt qu’une proposition dans sa vision des choses. C’est donc à l’instar de la réalité de son sujet qu’il faudrait sûrement encore bien des années pour trouver un film à la hauteur d’autant de sujets aussi nécessaires.
6/10
Race prend l’affiche ce vendredi 19 février.