China Miéville, bien connu pour ses mondes imaginaires déjantés, notamment les titres rattachés de près – ou de loin – à la cité-État légendaire de New Crobuzon, a également donné dans le thriller policie. À preuve, The City & The City, le récit d’une enquête pour meurtre, mais avec le savoir-faire et l’imaginaire débridé que l’on connaît à cet auteur britannique.
Dans la ville-nation fictive de Beszel, en Europe de l’Est, on retrouve le corps d’une jeune femme. Bien rapidement, l’inspecteur Tyador Borlu comprendra que l’affaire est plus complexe qu’on ne le croit. Car la victime aurait en fait été assassinée à Ul Qoma, la ville voisine de Beszel, mais qui en occupe aussi très largement l’espace.
Ainsi, nous explique Miéville, ces deux villes existent en même temps dans un même endroit, avec des zones où des objets physiques, des personnes, des véhicules, etc. peuvent circuler à la fois d’un côté et de l’autre de quelque chose qui ressemble à une frontière imperceptible.
Pourtant, dans ces deux villes, tout le monde, ou presque, agit pour « oublier », ou plutôt « dé-voir » ou « dé-entendre » ce qui provient de « l’autre » côté. Car commettre une transgression revient à susciter possiblement l’ire de Breach, à la fois la désignation de ce crime, mais aussi le nom d’une entité (agence? service? État?) qui s’occupe d’enquêter sur ces violations, quitte à faire disparaître les coupables les plus récalcitrants.
C’est donc dans cette espèce de guerre froide permanente, version multidimensionnelle, qu’évoluera notre héros, dans ce savant mélange d’enquête policière traditionnelle, avec indices, suspects, policiers blasés et corruption des élites, et de fantasmagories évoquant un genre de Rideau de fer figuratif.
De part sa double nature, de part son mariage un peu forcé des styles littéraires, The City & The City peut aisément décontenancer le lecteur, surtout en début de roman, alors que l’on ignore encore largement quelles sont les règles qui régissent ce monde aussi étrange que réaliste et contemporain.
Il ne fait aucun doute que China Miéville prouve, encore une fois, sa grande maîtrise des codes littéraires, mais s’avère aussi – et surtout – capable de faire preuve de transgression, justement. Et de nous offrir un excellent roman au passage.