Une ombre plane sur New York, littéralement. Qui pourra bien venir à sa rescousse? Si la réponse était autrefois évidente, l’âge d’or des superhéros étant venu à échéance, l’incertitude règne. Avec Thunderbolts*, Marvel essaie à nouveau de se redéfinir, pour le meilleur et le pire, astérisque à l’appui.
Nous sommes en 2008. Ceux qui, par hasard, sont encore présents à la fin du générique du Iron Man de Jon Favreau ne le savent peut-être pas, mais tout est sur le point de changer. Une décennie plus tard après qu’un Samuel L. Jackson, sous les traits de Nick Fury, a demandé à Tony Stark de rejoindre son équipe, les frères Russo ont donné vie à un événement cinématographique qui ne sera probablement plus jamais égalé avec le vibrant Avengers: Endgame.
Ne pouvant se reposer sur ses lauriers, Marvel, sous la gouverne de Kevin Feige et de Disney, essaie depuis de faire revivre sa vache à lait, tentant tant bien que mal d’exploiter ce qui semblait auparavant un gage indéniable de réussite (et de profits). Sauf que la recette ne prend plus et on ne sait plus quoi faire pour la pimenter.
Sans atteindre les fonds les plus désolants de la bannière, délaissant les orgies d’effets spéciaux douteux, comme dans Ant-Man: Quantumania, par exemple, ce Thunderbolts* finit par surprendre, parce qu’on a articulé le récit autour de la psychologie déréglée de ces antihéros, plutôt qu’autour de leurs actions et leurs gestes, qui deviennent rapidement accessoires.

De fait, en se tournant vers des cinéastes indépendants qui ont une vision plus précise, leur donnant une liberté un peu plus grande pour utiliser des moyens non négligeables afin de donner vie à leurs idées, on se retrouve ici avec un amalgame d’avenues qui sont loin d’être inintéressantes.
Il est d’ailleurs surprenant que ce soit pour un blockbuster que Jake Schreier soit retourné au grand écran, après une décennie à se concentrer sur les séries et les vidéoclips. Sauf que si l’humour plutôt plaqué alourdit ici et là l’ensemble – on soupçonne le scénariste Eric Pearson d’en être la cause, lui qui a collaboré précédemment à Thor: Ragnarok et Black Widow – c’est plutôt l’étude psychologique qui en découle qui surprend, ajoutant un côté crépusculaire à l’ensemble qui fascine allègrement.
Si, dans Spider-Man: Far From Home, Tom Holland démontrait une sensibilité remarquée suivant le deuil de son personnage et que Letitia Wright nous touchait droit au coeur dans Black Panther: Wakanda Forever pour des raisons similaires, c’est ici au tour de Florence Pugh de continuer de nous faire l’étalage immense de son talent.
Histoire d’arrimer son mal-être dans le Marvel Cinematic Universe, on a eu la brillante idée de l’associer à d’autres personnages qui ont toutes les excuses nécessaires pour se mettre en doute (et en déroute). Ces thèmes de remise en question et du sentiment d’inutilité qui vient souvent avec la déprime seront loin d’être étrangers à ceux ayant vu d’autres oeuvres du réalisateur, comme le brillant Robot & Frank, le mélancolique Paper Towns ou plusieurs épisodes de la sublime télésérie Kidding.

Dommage, toutefois, que ce ne sont là que de nombreuses manières de recycler ce qu’on a fait régulièrement par le passé. Ainsi, suivant un très long préambule, puisqu’on doit remettre tout le monde en contexte, sans vraiment le faire (on met au défi la majorité des spectateurs moins connaisseurs de resituer qui est qui et de quelle(s) oeuvre(s) antérieures on connaît les personnages), le long-métrage prend un bon moment avant de trouver son rythme de croisière.
L’occasion parfaite, pour le public, d’y déceler les inspirations et les clins d’oeil qui puisent un peu partout dans la grammaire de l’univers, des X-Men à The New Mutants, en passant par Spot, le plus récent méchant dans la transcendante suite qu’était Spider-Man: Across the Spider-Verse. D’autant plus que, depuis un bon moment déjà, on développe de moins en moins les méchants de service et que la ligne est souvent mince entre qui est vraiment gentil et qui est vraiment méchant, une ligne que l’on franchit parfois rapidement.
Heureusement, le talent ne manque pas. L’irrésistible Julia Louis-Dreyfus s’amuse comme un poisson dans l’eau et forme un duo de choc avec la pétillante Geraldine Viswanathan, alors que Wendell Pierce apporte une fraîcheur inédite au MCU. De leur côté, la chimie finit par faire des flammèches entre les Wyatt Russell, Lewis Pullman, Sebastian Stan, Hannah John-Kamen, David Harbour – qui essaie le mieux qu’il peut pour donner du relief à un personnage unidimensionnel – et, bien sûr, la splendide Florence Pugh.
C’est effectivement quand tous ces ingrédients commencent à se mélanger qu’on finit par y prendre son pied et qu’on s’attache à cette famille imparfaite qu’on essaie depuis le début de nous faire avaler (une tentative qui avait d’ailleurs un peu moins fonctionné avec Black Widow).

Quand l’émotion l’emporte sur l’action, il y a de quoi se poser des questions, surtout dans ce genre de film. C’est toutefois ce qui se produit, ici, alors que le talent des comédiens se montre plus frappant que lors de ces combats tous plus génériques et fades les uns des autres. La fameuse chute médiatisée qui a permis à Pugh de battre un record Guinness sera finalement d’un faible intérêt.
Rehaussé par les mélodies de Son Lux, qui renoue avec le réalisateur depuis 2015 et avec le cinéma depuis Everything Everywhere All At Once, aidé des jeux d’ombres, de miroir et de lumière de Andrew Droz Palermo, le directeur photo de David Lowery, Thunderbolts* finit par nous prendre aux tripes ici et là.
En frôlant, en filigrane, des sujets délicats qui sont loin d’être faciles, le film parvient à faire surgir ces héros de l’ombre, ceux qui sommeillent en chacun de nous. On aurait seulement aimé que le projet croit davantage en lui-même, pour que cette assurance à nous surprendre et nous déconcerter prime sur le reste.
6/10
Thunderbolts* prend l’affiche en salle ce vendredi 2 mai.