Une société moderne et puissante dont les fondations se sont rapidement effondrées sous l’impact d’une crise environnementale et de problèmes sociaux internes; cela vous dit quelque chose? Et pourtant, il n’est pas question de notre civilisation contemporaine, ici, mais bien du premier royaume apparu en Pologne, au début de l’époque médiévale.
Dans une nouvelle étude, des chercheurs se sont ainsi intéressés au développement, puis à la chute de la dynastie Piast, en Pologne, en tentant d’identifier les facteurs qui ont contribué à sa fin.
Ces travaux, publiés dans Proceedings of the National Academy of Sciences, s’inscrivent dans le contexte d’un effort visant à comprendre l’accélération des impacts humains sur l’environnement, afin de s’attaquer aux défis planétaires et sociaux majeurs de l’Anthropocène.
De l’avis des scientifiques, d’ailleurs, on connaît encore bien peu de choses sur les conditions qui permettent d’atteindre un point d’équilibre, surtout lorsqu’il est question des connexions complexes entre l’environnement, le politique et le social.
En utilisant des traces de pollen, mais aussi des données historiques et archéologiques, l’étude révèle ainsi l’existence d’une période de rapides changements environnementaux et de concentration de la richesse, suivi par une autre période, cette fois de retour à la vie sauvage et d’effondrement des structures politiques.
Selon les chercheurs, les systèmes politiques durables nécessitent un équilibre entre l’accumulation de capital et la connectivité sociale, et qu’un manque de cohésion sociale a poussé l’État de Piast vers sa propre fin.
Cette dynastie a été fondée vers l’an 960 de notre ère, entre autres en raison d’un afflux d’argent provenant sans doute du trafic d’esclave entre l’Europe et l’Asie.
Des traces de pollen extraites de quatre sites d’excavation, sur l’ancien territoire du royaume, ont révélé que rapidement après sa fondation, cet État a été caractérisé par une intensification de l’utilisation des terres, entre autres avec de la déforestation; une croissance des activités agriculturelles et de l’utilisation des flammes pour « nettoyer » des parcelles de terrain, et le développement de pâturages.
Le royaume a pris de l’expansion et sa population a augmenté rapidement près des sites des recherches, ce qui laisse entendre que les communautés conquises par cet État ont été forcées de déménager.
Retour en arrière
Moins d’un siècle après sa fondation, cependant, les traces de pollen démontrent que l’activité agricole, dans ce royaume, était en baisse, et que certaines zones retournaient à l’état sauvage. Les stocks d’argent, eux, se déplaçaient en fonction de l’emplacement des centres de pouvoir, mais sont demeurés largement concentrés à quelques endroits.
Finalement, dans les années 1030, des conflits internes et une invasion par le dirigeant tchèque Bretislav 1er a marqué l’effondrement de l’État Piast et la disparition temporaire de toute structure politique majeure en Pologne.
Ultimement, ce qui restait de l’unicité politique et sociale des Piast disparaît presque entièrement en 1138; la dernière héritière légitime du royaume finira par mourrir en 1707, après des siècles de transformations majeures des structures géopolitiques et sociales de la Pologne.
Pour expliquer la croissance et la chute rapide de ce premier État polonais, les auteurs soutiennent que la création de cette dynastie était basée sur un cycle de violence, d’expansion et d’extraction. Ce cycle aurait été alimenté par des résultats positifs, ce qui aurait mené à la suite de l’expansion du royaume.
Mais pour qu’un système aussi complexe qu’un État parvienne à une certaine stabilité, rappellent les chercheurs, il doit également y avoir un cycle de rétroactions négatives qui permettent au système de « tenir ensemble », en ralentissant la croissance et en assurant un équilibre.
« Malgré ses efforts pour créer rapidement une hiérarchie chrétienne, l’État de Piast n’a pas pu exploiter le pouvoir de cohésion de la religion », soutient ainsi Adam Izdebski, le principal auteur de l’étude. « Les dirigeants n’ont pas non plus su développer un bon mécanisme visant à coopter les populations conquises et leurs élites. »
Pas de bases préalables
Ultimement, mentionne l’étude, les élites Piast ne pouvaient pas s’appuyer sur des réseaux culturels, religieux ou politiques préexistants pour construire leur système politique émergent.
Affectés par ce manque de connexions et des lacunes technologiques et démographiques, les dirigeants du royaume n’ont pas été en mesure de maintenir l’intensification écologique qu’ils avaient déclenchée.
Cette absence de réseaux préalables s’est avérée être un problème fatal qui a été mis au jour lors de l’effondrement rapide du premier État polonais.
De l’avis des auteurs, à mesure que nos sociétés naviguent à travers les défis de l’Anthropocène, ou réagissent aux impacts de l’expansionnisme d’État, la résilience des systèmes politiques sera de plus en plus importante.
Selon cette étude, les États qui perdurent sont ainsi ceux qui équilibrent l’exploitation de leurs ressources environnementales et leurs connexions sociales internes.