Plusieurs médias ont annoncé cette semaine qu’une compagnie américaine avait réussi à mettre au monde un animal disparu depuis des milliers d’années. Le Détecteur de rumeurs a toutefois constaté que ces prétentions sont grandement exagérées.
L’origine de la rumeur
Dans un article du magazine Time publié le 7 avril, le journaliste Jeffrey Kluger annonçait le retour d’un loup préhistorique, le loup sinistre (« dire wolf » en anglais), parfois appelé « loup géant ».

C’est la compagnie américaine Colossal Biosciences qui aurait réussi ce coup. Selon le site de la compagnie, il s’agirait du premier cas de désextinction — un terme qui réfère à l’idée, qui circule depuis plus d’une décennie, de faire renaître, grâce au clonage, des espèces éteintes.
La nouvelle a été reprise sur plusieurs sites de nouvelles anglophones (USA Today, Live Science) et par TVA au Québec.
Qu’est-ce qu’un loup sinistre?
Le loup sinistre est une espèce canine qui vivait en Amérique il y a plus de 10 000 ans. Elle a été popularisée dans la série télé Le Trône de fer. Plus gros que le loup gris, le loup sinistre disposait également d’un crâne plus imposant et de dents puissantes pouvant broyer des os.
Est-ce vraiment un loup sinistre? Douteux
Or, plusieurs scientifiques ont immédiatement remis en question les prétentions de Colossal Biosciences. Par exemple, le généticien américain Adam Boyko, interrogé par le New York Times, et son collègue britannique Adam Rutherford, dans une message sur Bluesky, ont tous deux insisté sur le fait qu’en aucun cas, les scientifiques ne peuvent prétendre avoir ramené à la vie le loup sinistre. Il faudrait plutôt parler de loups gris génétiquement modifiés, précisent dans une entrevue accordée à la BBC le zoologiste Philip Seldon et le paléogénéticien Nic Rawlence, de la Nouvelle-Zélande. En fait, seulement 14 gènes du loup gris (sur 19 000 environ) auraient été modifiés dans le but de lui transférer certaines caractéristiques des loups sinistres.
Le résultat, ce sont « des loups gris qui ressemblent à des loups sinistres », décrit sur le site d’ABC News, la paléontologue Julie Meachen. Et encore s’agit-il uniquement de similarités présumées, ajoute Jeremy Austin, directeur du Centre australien pour l’ADN ancien, puisqu’il est difficile de savoir de quoi avaient l’air les loups sinistres, seulement à partir de leurs fossiles.
Cela n’empêche pas Beth Shapiro, la responsable du projet chez Colossal Biosciences, d’affirmer au New Scientist que si deux animaux se ressemblent, on peut dire qu’ils sont de la même espèce. Elle estime que 99,5 % du génome du loup sinistre serait de toutes façons identique à celui du loup gris.
Comment ont-ils procédé?
Plus précisément, ce qu’ont fait les scientifiques de Colossal Biosciences a consisté à recueillir l’ADN de loups sinistres dans une dent de 13 000 ans et dans un crâne de 72 000 ans.
Cet ADN a ensuite été comparé à celui du loup gris. Les scientifiques ont alors choisi d’effectuer 20 modifications dans 14 gènes du loup gris.
Des embryons ont été créés en laboratoire, en utilisant une technique similaire à celle employée pour cloner la brebis Dolly en 1996. Puis, les embryons ont été transférés dans une chienne porteuse. Trois petits en santé sont nés : deux mâles maintenant âgés de 6 mois et une femelle de 2 mois.
Une étude publiée? Toujours pas
Les résultats de Colossal Biosciences n’ont pas encore été publiés dans un journal scientifique, une condition fondamentale pour valider une expérience, afin que des experts indépendants puissent analyser le tout. En fait, les seules informations disponibles au moment d’écrire ces lignes proviennent de la compagnie elle-même. Dans son message, le généticien Adam Rutherford en parlait comme d’une opération de relations publiques organisée dans le but d’aller chercher du financement.
La compagnie Colossal Biosciences ne s’est d’ailleurs pas arrêtée là, puisqu’elle a annoncé le mois dernier la création de souris avec une fourrure de mammouth laineux, dans un article prépublié, c’est-à-dire qui n’a pas été révisé par qui que ce soit. La compagnie promettait, dès 2021, de « ressusciter » un mammouth d’ici la fin de la décennie.
Verdict
Les « loups » élevés par la compagnie Colossal Biosciences ne sont pas des loups sinistres, mais plutôt des loups gris génétiquement modifiés pour leur ressembler. On est encore loin de la « désextinction » ou de la « résurrection » d’une espèce disparue.