Des femmes victimes de violence, qui consomment de la drogue, mais qui n’ont pas d’autre choix: une récente étude menée par des chercheurs de l’Université ouverte de Catalogne révèle que malgré des conditions difficiles, les travailleuses du sexe n’ont bien souvent pas le choix de continuer d’offrir ce type de services tarifés.
« Il existe un grand besoin de travaux de recherche, dans ce domaine, parce que celui-ci est largement vulnérable face aux conceptions basées sur des stéréotypes ou des positionnements idéologiques », estime ainsi Josep Maria Tamarit, professeur en droit criminel et principal auteur de l’étude.
« Les décisions politiques à propos du travail du sexe doivent s’appuyer sur une compréhension de la réalité sociale. La chose est aussi importante, car en Europe, il existe des politiques nationales qui divergent largement. »
Pour mener leurs travaux de recherche, le Pr Tamarit, en compagnie de la professeurr Antonia Linde et des criminologues Patricia Martin Escribano et América Machado, ont interviewé 76 femmes ayant été ou étant toujours travailleuses du sexe, que ce soit à Barcelone, ou dans deux autres villes catalanes.
La majorité d’entre elles (84%) provenaient de l’étranger, soit largement de l’Amérique latine (plus de 60%), bien qu’on comptait aussi quelques Européennes, notamment de l’est du Vieux Continent.
Ces femmes, âgées de 25 à 63 ans, avaient très largement complété au moins leur éducation secondaire, et 11% d’entre elles possédaient un diplôme universitaire.
L’étude portait notamment sur les causes de leur implication dans le métier, les conséquences en matière de santé physique et mentale, ainsi que la violence subie dans la foulée de ce travail.
De fait, indiquent d’ailleurs les résultats, la quasi-totalité des femmes interrogées (90%) ont été victimes de violence en lien avec leur métier de travailleuses du sexe.
La drogue, un enjeu majeur
Toujours selon les travaux de recherche, les deux tiers des participantes ont déjà consommé de la drogue, et près de la moitié (46%) ont par la suite subi des problèmes physiques ou psychologiques qui ont affecté leur santé, dans la foulée de leur travail.
Parmi les facteurs influant sur leur consommation, on évoque l’insistance des clients, qui souhaitent vivre des relations sexuelles sous l’effet de la drogue. Et pour les travailleuses du sexe, ces drogues sont aussi une façon d’échapper à leur réalité.
Et si le cliché veut que les travailleuses du sexe sont majoritairement victimes de trafic ou d’exploitation, « seulement » le tiers des participantes à l’étude ont mentionné avoir été victimes de ces crimes. Pour les autres, pratiquer ce métier a été un choix volontaire.
« L’idée que toutes les femmes pratiquant ce métier sont exploitées tient du stéréotype, mais c’est aussi le cas pour l’idée que toutes les femmes s’y adonnent de façon volontaire. Prendre des décisions politiques en s’appuyant sur ces visions du monde représente une grave erreur », affirme le Pr Tamarit.
Pas d’autre choix
La réalité des travailleuses du sexe n’est certainement pas rose: 84% des femmes ayant participé aux travaux ont mentionné s’être tournées vers cette profession en raison d’un manque d’argent, et 25% ont dit avoir été trompées par une autre personne.
Par ailleurs, 89% des participantes ont dit avoir tenté de quitter la profession, mais sans succès; 94% des personnes consultées ont affirmé que vendre des services sexuels représentait « la seule option permettant d’assurer leur survie ».
Pourquoi continuer à exercer ce travail? Selon les auteurs des travaux, les participantes évoquent « la nature précaire des possibilités alternatives », ou encore « l’impossibilité de maintenir le niveau de revenus lié aux services sexuels ».
Les chercheurs notent également que la moitié des personnes interrogées souhaitent que le travail du sexe soit réglementé, alors qu’à peine 17% d’entre elles veulent plutôt qu’il soit interdit.
« Bien des femmes voudraient cesser de faire ce travail, parce qu’elles savent que celui-ci a des effets négatifs sur elles, mais elles souhaitent aussi avoir le droit de le pratiquer, si nécessaire, et être reconnues légalement si elles oeuvrent dans ce domaine. Elles jugent que davantage d’obstacles légaux signifie qu’elles seraient forcées de travailler dans des conditions encore pires », mentionne le Pr Tamarit.