Qu’est-ce que l’intelligence? Serons-nous un jour asservis par des robots que nous aurons nous-mêmes créés? Et cette intelligence dite artificielle menace-t-elle nos institutions démocratiques et sociales? Sur les planches de Duceppe, le duo formé de Dominique Leclerc (texte et co-mise en scène) et Patrice Charbonneau-Brunelle (scénographie et co-mise en scène) tente d’y répondre.
Il n’y a pas à dire: Une vie intelligente vise large. De l’utilisation des technologies dans notre quotidien à la question de l’apprentissage machine, en passant par cette fameuse intelligence artificielle et ses dérives, sans oublier l’exercice consistant à imaginer un futur non dystopique, les 90 minutes de l’oeuvre semblent particulièrement bien tassées.
Et sur scène, sept comédiens veulent pousser le public à non seulement participer activement à leur réflexion, mais à lui aussi s’interroger sur la place de cette percée technologique dans son existence. Éducation, progrès scientifique, omniprésence des téléphones intelligents et des algorithmes dans nos vies… Il est logique de tenter de prendre un pas de recul, de vouloir tracer un portrait d’une situation particulièrement complexe. Surtout au moment où les institutions gouvernementales semblent largement dépassées, laissant aux géants technologiques toute la latitude nécessaire pour dicter la marche à suivre.
Nous faire réfléchir à tout cela, après avoir bien pris soin de nous demander de bien fermer nos appareils électroniques? Fort bien: il peut absolument être pertinent d’expliquer les tenants et les aboutissants de ces « intelligences » qui se retrouvent jusque dans le fond de nos poches, toujours accessibles en quelques clics, ou en une seule commande vocale.
Il est tout aussi pertinent de rappeler certaines réalités tout à fait concrètes, comme la consommation exponentielle d’énergie, d’eau et de ressources minières non renouvelables pour alimenter cette frénésie technologique. Ces téléphones, il faut des terres rares pour les fabriquer. Cette « sauvegarde dans le nuage » n’est en fait qu’une utilisation toujours plus poussée de centres de données tout à fait réels. Et ces informations fournies sur une base quotidienne se retrouvent dans les voûtes des géants technologiques. Quand elles ne finissent pas entre les mains de pirates…
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C’est probablement là le plus grand problème de la pièce: à vouloir s’attaquer à trop d’aspects (l’IA en éducation, le dépassement des autorités gouvernementales, la nécessité de reprendre le contrôle de ces technologies, l’exploitation des ressources naturelles, le pouvoir supranational de Meta, Microsoft, Google et autres OpenAI, etc.), on finit forcément par manquer de temps pour développer, pour nuancer, pour creuser.
Un comédien togolais nous parle brièvement de l’impact environnemental et social de toutes ces ressources extraites du sous-sol africain, ressources qui y retournent ensuite sous forme de déchets électroniques toxiques? Ouste, on passe rapidement à autre chose.
Idem pour ce témoignage, en voix hors-champ, qui évoque rien de moins que la lente mort des institutions démocratiques devant ces géants transnationaux de la techno qui mettent tranquillement en place un régime néo-féodal. Dire que ce sujet est d’une importance tient de l’euphémisme.
Mais, pourtant, quelques instants plus tard, la chose est reléguée aux oubliettes et l’on s’amusera à faire chanter le public en fonction de divers caractères binaires défilant sur un gigantesque écran.
Changements abrupts de tonalité, passage du coq à l’âne, segments trop courts (voire trop longs, dans certains cas)… Une vie intelligente fait feu de tout bois. Et si l’on ne doute aucunement de la bonne volonté de ses créateurs et de ses interprètes, on ne peut que se demander ce qui s’est passé lorsqu’est venu le temps d’en écrire le texte. D’autant plus que parmi les solutions évoquées, dans une perspective utopiste, plutôt que dystopique, on parle peu ou pas de l’importance d’élire des gouvernants qui s’y connaissent, en nouvelles technologies, et qui n’ont pas peur d’agir. Pas plus que l’on nous rappellera que l’intelligence artificielle n’est encore qu’une manigance commerciale tout sauf intelligente…
Bref, tout cela est malheureusement très incomplet. Et c’est bien dommage, car l’art peut certainement aider à éveiller les consciences à propos de cette sphère de l’existence. Avant que l’IA ne finisse justement par tuer l’expression artistique, après avoir pillé tout ce qu’elle pouvait piller.
Une vie intelligente, de Dominique Leclerc, mise en scène de Dominique Leclerc et Patrice Charbonneau-Leclerc
Avec Thomas Emmaüs Adetou, Dominique Leclerc, Catherine Mathys, Félix Monette-Dubeau, Marcel Pomerlo, Natalie Tannous et Amaryllis Tremblay
Présenté chez Duceppe jusqu’au 29 mars