I can haz cheeseburger et ses confrères de l’univers numériques des memes, ces images ou montages à saveur humoristique, auraient une deuxième utilité, plus sinistre, cette fois: celle de solidifier les communautés rassemblant des théoriciens du complot, en ligne.
De l’avis de chercheurs de l’Université de Bath, le partage de photos et vidéos venant renforcer « un point de vue conspirationniste » jouerait en effet un rôle dans le développement d’un sentiment de tribalisme et d’opinion unique au sein des communautés conspirationnistes.
Ces travaux ont été publiés dans Social Media + Society.
Selon la doctorante Emily Godwin, « nous avons constaté, avec cette étude, que les memes jouent un rôle important lorsque vient le temps de renforcer la culture des communautés de complotistes, en ligne. Les membres se rassemblent autour de memes qui valident leur vision complotiste du monde, et ces memes deviennent partie intégrante de leur façon de raconter leur « histoire ». Leur format facile à partager accélère la dissémination de croyances nocives ».
En utilisant des données provenant de Reddit, un vaste agrégateur de contenus qui est aussi l’un des points de rencontre des complotistes, les chercheurs ont analysé 544 memes liés à deux sous-sections du site portant sur la COVID-19, entre 2020 et 2022, soit r/NoNewNormal, qui a été bannie par les administrateurs en septembre 2021, et r/CoronavirusCirclejerk.
Selon les chercheurs, ces memes pouvaient être classés en trois catégories au sein de la communauté complotiste, sur le web: des gestes de « mensonge » de la part des autorités et des conspirateurs; des « illusions » au sein du public, puis la « supériorité » des tenants des théories du complot, qui se voient comme étant des partisans de la « libre pensée ».
Le « Distracted Boyfriend » et les autres
Les auteurs des travaux ont ainsi compilé une liste des thèmes et personnages les plus fréquemment retrouvés dans les memes, dont plusieurs sont tirés des médias sociaux généralistes: « NPC Wojak » revenait le plus souvent (un « personnage non-joueur » gris et sans expression, qui représente un manque d’autonomie); en sixième place, on trouvait Drakeposting (mettant en vedette l’artiste Drake, tiré de son vidéoclip pour la chanson Hotline Bling, qui dépeint des sentiments d’approbation et de désapprobation), puis en 10e place, venait le « Distracted Boyfriend », qui représente un homme marchant avec sa copine, mais qui se retourne pour regarder une autre femme.
Il s’agit, dans ce dernier cas, d’évoquer le fait de choisir une option, même en étant tenté par un autre choix.
Toujours selon Mme Godwin, « les thèmes plus vastes créent un cadre qui guide les membres de ces communautés à travers des conversations à propos d’inquiétudes communes ».
« De cette façon, poursuit-elle, ils agissent comme baume pour calmer les désaccords qui peuvent survenir, ce qui réduit le potentiel de fractures sociales à propos de différences mineures. Cette cohésion permet alors aux idéologies dangereuses de s’installer et de fleurir. »
Pour sa part, la Dre Brit Davidson juge que « l’humour des memes, qui s’appuie généralement sur le ridicule et la moquerie des élites hypothétiques et du public, est probablement l’un des principaux facteurs permettant d’attirer de nouveaux membres dans ces groupes, y compris des gens qui pourraient ne pas connaître le véritable contexte et l’impact de la désinformation ».
Selon les auteurs de l’étude, davantage de travaux portant sur le paysage en transformation rapide de la communication numérique sont essentiels pour comprendre comment ces memes servent d’outils non seulement à des fins de dissémination culturelle, mais aussi pour assurer la stabilité des communautés de complotistes.