C’est avec un culot indéniable que Brady Corbet offre un magnum opus intimidant, comme troisième long-métrage, avec The Brutalist, un film qui laissera certainement sa marque dans le septième art.
D’abord un acteur ayant fait ses preuves auprès de cinéastes de renoms tels que Gregg Araki, Michael Haneke et Lars Von Trier notamment, Brady Corbet s’est depuis recyclé en cinéaste se dévouant entièrement à son art après avoir tâté le terrain de la scénarisation avec Simon Killer, où il tenait la vedette, en plus d’avoir participé au scénario.
Épaulé par Mona Fastvold, avec qui il avait d’abord collaboré sur son long-métrage The Sleepwalker et qui deviendra également sa conjointe et sa partenaire artistique, il a livré un saisissant premier long-métrage, qui était une adaptation libre aussi stylisée qu’impressionnante de The Childhood of a Leader, d’après la nouvelle du même nom de Jean-Paul Sartre.
Sans délaisser ses ambitions évidentes et son obsession pour le passage du temps et les marques que laissent le passé en chacun de nous (qu’il avait seulement développé à petite échelle jusqu’à maintenant), Corbet s’est un peu égaré au deuxième tournant. Son Vox Lux, qui malgré une autre distribution à tout casser réunissant notamment Natalie Portman et Jude Law, peinait effectivement davantage à convaincre.
Apprenant à mieux faire avec les contraintes (particulièrement budgétaires) et retournant au style distinct de sa première création qu’il semble par moment refaire ici, mais en mieux, Corbet retrouve une forme sidérante. Utilisant la méthode Vistavision, procédé cinématographique qu’on croyait abandonné depuis des décennies, son film tourné sur pellicule a aisément une durée et une portée évoquant les films de Martin Scorsese.
En effet, à 215 minutes, incluant pour sa part une intermission de 15 minutes, et se déroulant sur plus d’une décennie, voilà un film qui rappelle rapidement le splendide Killers of the Flower Moon de l’homme derrière un bon nombre d’oeuvre durant rarement moins de trois heures.
Les comparaisons s’arrêtent toutefois là, puisque si Scorsese est toujours assez frontal dans son approche, Corbet a la fibre artistique et abstraite plus prononcée.
Si sa première proposition s’avérait généralement confuse, il rectifie ici le tir. D’une certaine manière, en reprenant le mouvement de caméra distinct qui terminait son premier film pour débuter celui qui nous intéresse, ici, dans une séquence admirable menant au titre, le réalisateur semble affirmer derechef: j’ai appris de mes erreurs.
Pendant une première partie rythmée au quart de tour dont chaque revirement capte notre attention comme si rien d’autre n’avait d’importance, on y croit aussi.
Chaque seconde de l’odyssée de notre protagoniste interprété avec vigueur par Adrien Brody, László Tóth, prend la totalité de notre attention. Impossible de ne pas ressentir des frissons à de nombreux moments, la magnifique trame sonore de Daniel Blumberg y étant d’ailleurs pour beaucoup. On se surprend, s’émeut, se choque et s’émerveille de le voir avancer à tâtons dans une Amérique encore fragile, se relevant lui-même de la guerre qu’il a fui et de sa famille laissée derrière qu’il rêve de retrouver.
On est admiratif de son parcours, de sa résilience, mais aussi sa débrouillardise, tout comme de son talent évident pour l’architecture qui sera partie intégrante de sa personnalité. Le titre provient d’ailleurs d’un style architectural très spécifique.
Le soin apporté à absolument tout est hallucinant. Les décors, les costumes, les images somptueuses et granuleuses du brillant et fidèle Lol Crawley, bref, tout est de mise pour en mettre plein la vue.
Puis, l’entracte tant attendue se pointe le bout du nez nous invitant à reprendre notre souffle et nos esprits.
Malheureusement, tout ce qui suivra n’arrivera jamais vraiment à la cheville de ce qui a précédé.
Suite aux nombreux chamboulements passant des problèmes de financement à la pandémie, la pourtant excellente Felicity Jones, qui a remplacé Marion Cotillard, n’arrive pas à rendre justice au personnage de l’épouse qu’on aura pris presque 2 h à attendre. Plus important en deuxième partie, Joe Alwyn n’arrivera pas non plus à nous convaincre.
Pourtant, les moments marquants sont encore nombreux, surtout avec des performances aussi inspirées que celle de Guy Pearce qui se métamorphose tout au long de la durée du film ou d’un visuel toujours réfléchi avec justesse dans chaque cadrage. La présence exceptionnelle (et sur le tard) d’Ariane Labed vient faire écho à celle d’Alessandro Nivola, qui contribuait à l’excellence de la première moitié.
Sauf que l’histoire se distille à travers les années sans nécessairement se complexifier et la méticulosité s’égare davantage n’arrivant pas à justifier entièrement la durée quelque peu excessive du long-métrage qui était bien parti pour s’intégrer dans les fondements de l’Amérique tel qu’on la connaît aujourd’hui. Les liens entre les événements s’entrechoquent sans avoir la portée qu’on semble suggérer et on ne se retrouve pas autant émotionnellement impliqués par cette histoire qui nous déchirait pourtant grandement au départ.
La tendance du cinéaste à prioriser des fins abruptes un peu précipitée donnera aussi des drôles d’allures à une proposition qui semble manquer d’une certaine finalité et favorisant un certain sens du détachement.
Il n’en demeure pas moins que The Brutalist est une expérience cinématographique comme il s’en fait peu de nos jours et évoquant un cinéma d’hier avec juste ce qu’il faut de panache pour l’ancrer dans notre présent. Osant au septième art ce qu’on semble uniquement réserver de nos jours aux petits écrans, Brady Corbet redonne beaucoup de noblesse à un art qui en arrache régulièrement. Si l’on avait déjà les yeux rivés sur sa carrière depuis longtemps, il s’est maintenant assuré qu’on ne détournera plus jamais le regard de ce qu’il aura à nous proposer.
7/10
The Brutalist prend l’affiche en exclusivité en 70mm à Montréal le vendredi 17 janvier prochain.
Il sortira ensuite de manière limitée le vendredi 24 janvier prochain avant de finalement prendre l’affiche partout au Québec en février.