Il y a de ces oeuvres classiques qui semblent défier le passage du temps; avec son « être ou ne pas être, telle est la question », Hamlet, l’une des pièces les plus connues de Shakespeare, a aisément traversé les siècles. À un point tel, en fait, que son adaptation à l’opéra est elle-même plus que centenaire. Voilà que près d’un siècle après avoir été donnée à Montréal, d’ailleurs, cette déclinaison d’Ambroise Thomas retrouve les planches d’ici, cette fois à la salle Wilfrid-Pelletier.
Être roi du Danemark n’est pas souvent recommandé, dans les oeuvres du Barde. Ici, d’ailleurs, ledit roi est assassiné par sa femme et son frère, ce dernier devenant calife à la place du calife, et marie son amante et ancienne belle-soeur, par-dessus le marché.
Mais pour Hamlet, visité par le spectre de son défunt paternel, l’affaire n’est pas close. Le voilà donc qui sombrera peu à peu dans la folie, persuadé que son oncle et sa mère ont tué son père, qu’il dépeint comme un homme parfait, « doté de grandes qualités souveraines », alors que celui qui l’a remplacé est voué aux gémonies.
Par la force des choses, impossible de demander aux chanteurs d’opéra d’utiliser autant l’espace scénique que peuvent le faire les acteurs d’une pièce de théâtre. Et si la mise en scène d’Alain Gauthier, dont les décors sont principalement composés de gigantesques bâtiments à l’allure industrielle délabrée, confère à l’ensemble une apparence de décadence, de lent pourrissement, le côté statique des deux premiers actes a quelques fois poussé ce journaliste à consulter sa montre.
D’autant plus que les échanges, notamment ceux entre Ophélie et la reine, sont parfois d’une banalité quelque peu affligeante.
La faute au style d’écriture de l’époque, sans doute; après tout, la pièce originale a d’abord été publiée en 1603, et il est clair que Shakespeare ne se préoccupait probablement pas d’écrire des personnages féminins forts.
Cela étant dit, les masques tombent heureusement dès le début du troisième acte, tout juste en revenant de l’entracte. Hamlet, qui prévoit sa vengeance contre Claudius, son oncle, mais aussi contre sa mère, qu’il finira par confronter; Ophélie, promise à Hamlet, mais rejetée par ce dernier, dont l’amour se transforme peu à peu en folie, jusqu’à une fin funeste; Claudius lui-même qui est rongé par le remords…
On appréciera certainement la prestance et le talent de Sarah Dufresne, dans le rôle d’Ophélie – notamment pour son magnifique aria, juste avant de passer l’arme à gauche; saluons aussi l’impressionnante Karine Deshayes, qui interprète la reine Gertrude.
Là où les choses achoppent, cependant, c’est lorsque l’orchestre enterre quelque peu les chants, notamment ceux d’Elliot Madore, qui joue Hamlet. M. Madore qui, à l’instar de Mme Dufresne, s’enfargent parfois dans le texte en français, eux qui sont canadiens, certes, mais qui ne maîtrisent pas tout à fait la langue de Molière. Résultat, certaines intonations sont parfois étranges. Rien pour gâcher le plaisir, certes, mais suffisant pour forcer un léger froncement de sourcils.
Malgré certaines longueurs et quelques aspérités, le Hamlet d’Ambroise Thomas est une très bonne façon de varier nos plaisirs tout en renouant avec l’un des grands classiques du maître du théâtre dramatique. Une production fort bien réussie qui nous rappelle que l’amour peut encore mener au bonheur, mais aussi à la folie et à la mort…
Hamlet, de William Shakespeare, dans une adaptation d’Ambroise Thomas et une mise en scène d’Alain Gauthier
Avec Elliot Madore, Sarah Dufresne, Karine Deshayes, Nathan Berg, Antoine Bélanger, Rocco Rupolo, Alexandre Sylvestre, Matthew Li et Alain Coulombe
Musique par l’Orchestre métropolitain, sous la direction de Jacques Lacombe
À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts jusqu’24 novembre