C’est la veille de Noël: Sam et Sarah réveillonnent tranquillement dans un appartement que l’on imagine ordinaire, avec des décorations ordinaires… Bref, le résultat d’une relation ordinaire? Mais voilà que débarque Nate, ancien grand ami de la jeune femme, qui aura l’effet d’une lourde pierre lancée dans une mare à la surface trop tranquille. Bienvenue dans Un navire délicat.
« J’ai découvert cette pièce en la lisant… J’ai même commencé à la lire en pleine librairie! », lance tout de go Véronique Côté, la metteure en scène de cette oeuvre présentement jouée sur les planches de La Petite Licorne, lors d’une entrevue téléphonique accordée peu de temps avant la première.
Cette pièce, c’est celle d’Anna Ziegler, qui a d’abord été montée pour la première fois aux États-Unis, en 2014.
« C’est une oeuvre qui m’a vraiment accrochée, moi, et que j’ai décidé de monter; je trouvais qu’il y avait, dans cette histoire et cette écriture, une part de mystère, et une agilité et une maîtrise vraiment grande de l’écriture dramatique que j’ai voulu explorer avec des interprètes. Une écriture qui, mine de rien, sous les airs d’une situation qui pourrait ressembler à quelque chose que l’on a déjà vu, peut-être, va vraiment en profondeur et bouleverse des choses chez ceux qui voient la pièce », a mentionné Mme Côté.
« Ce qu’il faut savoir, c’est que dans la pièce, il y a deux niveaux de récit; il y a le réveillon avec un nouveau couple, avant que Nate ne cogne à la porte et ne vienne semer le chaos. En ce sens, c’est pratiquement un huis clos. Mais il y a également des apartés qui s’addressent au public, des segments très travaillés qui nous donnent toutes sortes d’indices sur qui sont ces personnages, sur leur passé commun, sur des choses qu’ils n’ont jamais dites à personne. Cela fait que c’est très intéressant à jouer et, pour les spectateurs, c’est aussi très intéressant à déchiffrer. »
Toujours au dire de Mme Côté, « il y a une odeur de suspense, mais c’est aussi un genre de thriller poétique ».
Et la poésie a bel et bien sa place, dans ce Navire délicat. Face à la réalité, aussi stable que probablement un peu ennuyeuse, le personnage de Nate propose une série d’envolées lyriques, un monde presque imaginaire où les sentiments font bouger les montagnes. Et devant ce déferlement d’émotions, Sarah n’est certainement pas insensible à ces grandes déclarations. Même si, au fond d’elle, la femme est tout à fait consciente du fait que cet amour est non seulement impossible, mais il n’a aussi jamais vraiment pu exister.
Certes, cette thématique d’une femme déchirée entre deux hommes n’est pas nouvelle; c’est d’ailleurs ce qui animait l’excellent Past Lives, entre autres. Mais Véronique Côté juge que l’aspect théâtral de la chose – littéralement – apporte quelque chose de plus qu’il est impossible de retrouver au grand ou au petit écran.
« Le théâtre, c’est toujours quelque chose qui se vit au présent; même lorsque la prémisse semble classique, nous avons une oeuvre liée au passage du temps présent, ce qui est irremplaçable, d’ailleurs. »
« D’ailleurs, le texte parle beaucoup de notre rapport au temps, aux événements qui ont été bouleversants dans nos vies. Cela parle des choix que nous effectuons, de ce que nous aurions pu être si nous avions fait d’autres choix… Et du fait que ces autres possibilités continuent d’exister en nous », a encore mentionné la metteure en scène.
« Il n’y a pas qu’un seul thème, dans cette pièce; ça parle d’amour, bien entendu, mais ça parle aussi de santé mentale, de notre relation avec nos parents, avec nos enfants. Mais en même temps, c’est un peu réducteur de tenter de faire sortir les thèmes, car j’ai l’impression que cela va résonner de façon différente en fonction des spectateurs. »
Un étrange ballet à trois
Sur scène, Gabrielle Côté (la soeur de Véronique Côté, qui interprète Sarah) donne la réplique à Maxime Genois (Nate), alors qu’Alex Bergeron, lui, semble parfois piaffer de frustration dans le rôle de Sam. On peut effectivement comprendre la colère de ce personnage, qui n’est avec Sarah que depuis peu de temps, et qui découvre un pan de son existence dont il ignorait tout quelques minutes auparavant.
Plus le temps passe, plus les échanges entre les trois personnages approchent d’un point d’orgue, d’un instant où tout finira par éclater, sans que l’on puisse connaître les conséquences d’une telle explosion. L’amour doit-il être uniquement la porte d’entrée vers une stabilité? Doit-on aimer à s’en faire mal? La raison et les sentiments peuvent-ils cohabiter? Peut-on aimer deux personnes à la fois, et ce, pour des raisons différentes? Un navire délicat explore toutes ces questions pour lesquelles il n’y a jamais eu de réponse claire.
Puissante, chavirante, confrontante, Un navire délicat est une pièce importante, un questionnement nécessaire sur la nature des sentiments, sur l’affrontement perpétuel entre la passion et la raison. Du très bon théâtre.
Un navire délicat, d’Anna Ziegler, mise en scène de Véronique Côté, avec Alex Bergeron, Gabrielle Côté et Maxime Genois
À La Licorne jusqu’au 29 novembre