En matière de lutte à l’itinérance, l’approche « logement d’abord », qui consiste à trouver en premier lieu un endroit pour héberger les personnes sans domicile fixe, a gagné en importance dans divers pays de la planète, y compris le Canada. Mais selon Daniel Kudla, professeur adjoint en sociologie de l’Université Memorial, à Terre-Neuve-et-Labrador, juge que cette méthode ne s’est pas avérée aussi efficace qu’attendu.
Au dire du chercheur, donc, si « plusieurs études ont démontré l’efficacité de [cette approche] pour réduire l’itinérance et offrir une stabilité en termes de logement, surtout pour les personnes souffrant d’itinérance chronique », le nombre de personnes sans domicile fixe a continué d’augmenter dans plusieurs pays.
S’appuyant sur des données de Statistique Canada récoltées entre 2018 et 2022, qui font état d’une augmentation de l’itinérance d’environ 20%, d’un océan à l’autre, le Pr Kudla précise que le plus important facteur expliquant cette croissance est une hausse du nombre d’itinérant n’ayant pas accès à des refuges, et qui dorment donc dans la rue, dans des véhicules, ou dans des campements de fortune.
Chez nos voisins du Sud, uniquement entre 2022 et 2023, l’itinérance y aurait bondi de 12%.
« Cela soulève des questions importantes à propos des limites de cette approche pourtant populaire en matière de lutte à l’itinérance », juge le Pr Kudla.
Comme le rappelle ce dernier, l’approche du « logement d’abord » est apparue comme une alternative à celle du « traitement d’abord », où les personnes itinérantes devaient d’abord cesser de consommer des drogues et de l’alcool, en plus d’adhérer à des programmes médicaux, avant de devenir admissibles à l’occupation d’un logement de façon indépendante.
« Cette approche du traitement d’abord a largement échoué, car il est extrêmement difficile d’obtenir un accès à un traitement, et de guérir d’une dépendance, si l’on n’a pas accès à un logement sur une longue période de temps », soutient le chercheur.
Des changements à apporter
« Le logement d’abord est une idée populaire parce que cette approche est vue comme un programme clé en main qui peut être adopté par les organisations à but non lucratif et les agences gouvernementales. Mais le traiter uniquement comme un programme social laisse de côté le nécessaire questionnement à savoir s’il existe suffisamment de ressources et de volonté politique pour atteindre son principe de base: fournir des logements aux itinérants », lance le Pr Kudla.
Ainsi, l’un des problèmes est que ce programme s’appuie, au Canada comme aux États-Unis, sur le marché locatif privé, « ce qui créé des obstacles, puisque les subventions au loyer ne permettent habituellement pas de couvrir le coût élevé des logements ». À l’opposé, les logements gérés par le gouvernement sont souvent en nombre réduit et en mauvais état, résultat de décennies de sous-investissements.
« Pour que l’approche du logement d’abord fonctionne, les gouvernements doivent reconnaître que le logement est un droit fondamental », martèle le professeur.
« Cette décision doit être accompagnée d’investissements pour construire des logements sécuritaires et stables. Il faut également s’attaquer à d’autres problèmes systémiques, comme les salaires minimums trop bas, le manque de ressources en santé mentale, etc. »
Le Pr Kudla évoque aussi le fait que l’approche du logement d’abord « peut s’avérer coercitive », alors que plusieurs itinérants « subissent de la pression pour s’enrôler dans ce genre de programmes », parfois sous la menace d’être évincé d’un campement, par exemple. Ou de perdre leurs maigres possessions.
« L’idée du logement d’abord s’appuie sur l’idée que les itinérants préféreront vivre dans un appartement, plutôt que de demeurer dans la rue. Mais cela ne tient pas compte du sentiment de communauté qui se développe au contact d’autres itinérants. Être logé pourrait signifier d’être coupé de cette communauté et de se retrouver isolé dans un nouvel environnement. Pour que le logement d’abord fonctionne, il devrait ressembler au sentiment de communauté se développant entre les gens vivant dans la rue », estime le spécialiste.
« Le Canada peut s’inspirer de la Finlande, où plutôt que d’utiliser le logement d’abord comme seul programme, le gouvernement s’est concentré sur le développement d’une offre solide et stable en matière de logements abordables. À Helsinki, on a constaté une diminution de 72% du nombre de gens dormant dans la rue ou dans des refuges », martèle le Pr Kudla, qui appelle ainsi Ottawa et les provinces à investir massivement dans les logements abordables, plutôt que de « simplement subventionner les loyers ».