Pendant longtemps, la sagesse populaire voulait que seules personnes fortement biaisées, et dont la littératie médiatique est moins développée, font passer la partisanerie avant la vérité. En d’autres termes, ces gens croient des nouvelles qui confirment leur vision du monde, qu’elles soient vraies ou non. Mais une nouvelle étude, publiée tout de suite avant une élection présidentielle américaine où les fausses nouvelles sont plus nombreuses que jamais, vient confirmer que c’est plutôt l’ensemble des gens qui agissent de la sorte.
Les travaux en question, qui apparaissent dans le Journal of Experimental Psychology: General, viennent ainsi indiquer que le public s’adonne ainsi à cette tendance dangereuse, sans égard à son orientation politique, son niveau d’éducation, ou encore sa capacité de raisonnement.
« Nous avons bel et bien constaté une situation où les gens sont davantage influencés par les valeurs politiques que par des informations vérifiées », souligne Michael Schwalbe, principal auteur des travaux, qui est rattaché à l’Université de Stanford.
« Nous l’avons constatée des deux côtés de l’échiquier politique, et même chez les gens qui obtenaient une bonne note à un test évaluant leur capacité de réflexion. Nous étions un peu surpris de constater à quel point cette tendance est répandue. Les gens faisaient preuve de beaucoup de résistance face aux vérités qui dérangent. »
L’étude a aussi permis de découvrir des façons surprenantes selon lesquelles la partisanerie affecte l’analyse de l’actualité. Par exemple, pour évaluer une forme de biais, les chercheurs ont évalué la confiance des gens envers l’objectivité de leur camp politique, comparativement à leurs adversaires. De façon ironique, ceux et celles qui estimaient le plus que leur camp était objectif faisaient eux-mêmes preuve des biais les plus importants.
De plus, ce biais partisan était davantage détectable lorsqu’il s’agissait de vraies nouvelles, plutôt que de désinformation. Et donc, les participants avaient davantage tendance à remettre en doute de véritables informations contredisant leurs valeurs politiques, plutôt qu’à accepter de fausses informations venant confirmer leurs biais.
« Tout le monde pense que le problème, ce sont les autres », indique ainsi Geoffrey L. Cohen, lui aussi l’un des responsables de l’étude.
« Les gens disent « pas moi! », mais il appert qu’à l’instar de plusieurs autres travaux de recherche en psychologie, il s’agit en fait d’un problème largement répandu à travers l’ensemble des partis politiques, ainsi qu’à travers une bonne partie du spectre en matière d’éducation. Le problème, ce n’est pas seulement la désinformation, mais les filtres de notre propre esprit. En fait, l’enjeu est peut-être même surtout de ce côté. »
Même les titres farfelus trompent les gens
L’étude s’appuie sur des travaux de recherche effectués en 2020 auprès d’un échantillon d’Américains en âge de voter. Dans ce groupe, on trouvait des partisans et des détracteurs de Donald Trump, qui cherchait alors à se faire réélire.
Au dire des chercheurs, les résultats obtenus viennent contredire de précédents travaux en raison de changements en matière de méthodologie. Par exemple, cette fois, les auteurs ont créé de faux grands titres, alors qu’auparavant, on s’appuyait sur de véritables manchettes.
Enfin, de précédents travaux levaient le voile sur le sujet de l’étude, alors que le groupe de Standford a utilisé un prétexte lié à la mémoire et à la communication, en plus de préparer des questions servant à cacher la véritable nature de la démarche.
L’équipe de recherche a ainsi créé de faux titres tels que Trump bat un grand maître aux échecs et Trump a participé à un gala privé pour l’Halloween où s’est déroulée une orgie, le tout déguisé en pape, et a constaté que les partisans et les détracteurs de l’ex-président croyaient davantage les dépêches correspondant à leur point de vue politique que les titres véridiques contredisant leurs valeurs.
« Si vous pouvez démontrer que la partisanerie est importante, lorsque vient le temps de croire ou non des titres farfelus, alors cette partisanerie doit être très importante », juge le Pr Cohen.
L’un des facteurs expliquant ce phénomène, indiquent les auteurs des travaux, est la consommation croissante de contenus provenant de médias partisans. « Nous avons constaté que certains des indices les plus probants de biais regroupent des vues extrêmes sur Donald Trump, un régime médiatique à sens unique, et la croyance qu’une personne « de son camp » politique est fondamentalement objective et libre de tout biais, comparativement à l’autre camp », a souligné M. Schwalbe.
Lors de précédents travaux menés par ces chercheurs, il a été déterminé que certaines de ces tendances pourraient s’auto-renforcer au fil du temps. De fait, les auteurs de l’étude disent s’inquiétier en lien avec la consommation de contenus médiatiques, au 21e siècle.
La montée en popularité des médias sociaux et l’accessibilité constante des contenus partisans facilite également l’accès à des nouvelles biaisées, ce qui peut renforcer la croyance des gens envers leur propre objectivité, et donc empirer la polarisation, avec le temps, écrivent les auteurs.
« Pré-vérification et autres solutions »
Comment s’attaquer à ce problème, si celui-ci est aussi répandu et insidieux qu’il semble l’être? Le Pr Cohen suggère entre autres de « pré-vérifier » l’information, c’est-à-dire une situation proactive où des sources médiatiques mettent en garde contre la possibilité de mésinformation, ou encore une situation où des gens apprendraient, de façon indépendante, à reconnaître des tactiques de manipulation.
Les chercheurs suggèrent également de modifier les algorithmes afin de prioriser la vérité, aux dépens du clickbait, ou encore des contenus destinés à susciter des émotions fortes.
Pour MM. Schwalbe et Cohen, toutefois, la situation ne se règlera pas uniquement avec des politiques visant à combattre les fausses nouvelles, puisque la population sont aussi victimes de leurs propres biais, lorsque vient le temps de croire de véritables nouvelles… ou non.
Ils suggèrent plutôt de se concentrer sur l’importance d’enseigner l’humilité intellectuelle, en vertu de laquelle les consommateurs de contenus médiatiques reconnaissent que leur esprit est faillible, et apprennent ainsi à remettre en question leurs perceptions.
« Il y a encore beaucoup de choses à faire pour comprendre le problème », soutient M. Schwalbe.