Quels liens peut-il y avoir entre un historique familial troublé et l’un des films les plus connus de Stanley Kubrick? S’appuyant sur le texte du roman de Simon Roy, le metteur en scène Eric Jean propose une version théâtrale de Ma vie rouge Kubrick, une réflexion sur le dédoublement de soi, l’apparition insidieuse de la folie meurtrière, et l’importance de choisir des portes qui résistent aux coups de hache.
Sur les planches de la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier, voilà donc notre protagoniste, que l’on imagine être le défunt Simon Roy lui-même, qui expose sa passion pour The Shining, ce film culte de 1980 mettant en vedette Jack Nicholson. Un film qu’il aura vu « au moins 40 fois »‘ affirme-t-il.
Mais sur scène, en compagnie de notre personnage principal, interprété par Mickaël Gouin se trouve un autre individu, joué par Marc-Antoine Sinibaldi. Et à mesure que le temps passe, on en viendra à s’interroger sur l’existence de ce deuxième homme: est-il une réflexion du premier? Un double? Un clone? Une version « méchante »? Si les dialogues alternent entre les deux interprètes, ceux-ci ne se répondent jamais. Plus étrange encore, les voilà qui parlent parfois à l’unisson, ou posent les mêmes gestes…
On comprendra, peu à peu, que ce qui intéresse notamment Simon Roy dans The Shining, c’est cette question du double, du dédoublement de soi. Comme si le personnage de Jack Torrance, joué par Nicholson, n’était en fait pas entièrement lui-même. Comme s’il laissait les rênes de sa propre conscience, à l’occasion, pour se transformer en… autre chose? Et tout cela, bien entendu, c’est sans compter ces célèbres jumelles. Come play with us, lanceront-elles, dans l’une de ces répliques immortelles du septième art. Jouer avec ces manifestations d’une puissance ténébreuse, oui, jusqu’à sombrer soi-même dans l’abysse.
Il faudra d’ailleurs un peu de temps pour comprendre les liens entre The Shining et la propre histoire de la famille de Simon Roy. On évoque une autofiction, certes, mais il est franchement troublant d’entendre parler de cette mère suicidaire, poursuivie par le poids de l’horreur, et de finalement remonter à l’origine de ce traumatisme. Les dernières pièces du casse-tête se mettent alors en place, et l’on comprend pourquoi notre personnage principal semble s’identifier, en partie à son corps défendant, à ce père de famille éventuellement devenu meurtrier psychopathe.
Présentée dans un décor épuré, bien souvent baigné d’un puissant éclairage rouge sang, à l’instar de la scène de l’ascenseur, Ma vie rouge Kubrick est un mariage franchement réussi entre l’art des planches et celui de la pellicule. Entre la folie décrite par King – puis tournée par Kubrick – et celle, bien réelle, qui peut parfois s’emparer des êtres aimés. Une oeuvre fascinante.
Ma vie rouge Kubrick, de Simon Roy, adapté et mis en scène par Eric Jean, avec Mickaël Gouin et Marc-Antoine Sinibaldi
À la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 16 novembre