Le brillant Quentin Dupieux persiste et signe au bonheur et au malheur des autres avec le délirant Le deuxième acte, le film d’ouverture de la plus récente édition du Festival de Cannes qui risque de satisfaire ses plus grands admirateurs et amplifier les réactions de ses détracteurs. Tant mieux!
Comme toujours, un peu à l’image de son excellente bande-annonce, le moins on en sait et le mieux c’est.
Puisque de toute façon, fidèle à son style distinct, le cinéaste s’amuse une fois de plus à défier les limites et les possibles pour livrer une oeuvre unique autant dans la forme que dans le fond.
Amoureux depuis toujours de la vie et son absurdité, mais aussi du cinéma et de ses nombreux non-sens (dès le début avec Nonfilm, après tout), le réalisateur se jette à l’eau et met en scène une banalité qui se montre toujours plus complexe et texturée qu’elle ne le semble au départ.
Alors que Dupieux joue habilement sur les mises en abyme, encore plus bluffantes, subtiles et fluides que jamais – il en est le roi, après tout – on brouille continuellement les pistes et on se permet de divaguer et philosopher allègrement sur la réalité et la fiction, mais aussi sur le rôle de l’art.
Et si le rapport des oeuvres et leurs spectateurs a souvent été un questionnement cher à Dupieux (préoccupation entamée avec Rubber et ayant atteint probablement son sommet dans l’inoubliable Yannick, dont il reprend ici ce désir évident de se camoufler dans une réalité beaucoup plus près de la nôtre que certains de ses films), voilà qu’après avoir divagué avec l’univers de Dalí dans l’éclaté Daaaaaalí!!!, il s’intéresse plus que jamais aux créateurs, aux artistes. Après tout, le titre de départ était À notre beau métier.
Ici, le réalisateur renoue avec l’incomparable Raphël Quenard, qui est rejoint – comme toujours chez Dupieux –par une distribution de haut calibre.
Celle-ci se retrouve confrontée à ses habitudes et a ici la chance non seulement de se réinventer (on pense au fabuleux Vincent Lindon qui a enfin la chance d’explorer tout son talent inné et inattendu pour la comédie), mais aussi de faire preuve d’une autodérision hallucinante. On adore le clin doeil à La moustache, volontaire ou non. Tout comme Léa Seydoux qui se fait vilipender à chaque détour par son entourage.
Sans surprise, Louis Garrel et Mme Seydoux sont comme des poissons dans l’eau dans ces rôles qui se métamorphosent sous nos yeux parfois dans les mêmes secondes et, comme leurs partenaires, ont le talent nécessaire pour livrer des longs dialogues, souvent en plan séquence, en faisant preuve d’un dévouement épatant. À eux, s’ajoute la performance marquante de Manuel Guillot qui s’est surtout fait non-reconnaître dans des petits rôles de figurants dans de grosses productions (vous comprendrez en voyant le film).
Continuellement hilarant, constamment déroutant, construit avec beauté dans une structure en miroir qui semble se répondre, le long-métrage accumule les répliques qui fondent en bouche et les moments rien de moins que marquants.
Il y a plus aussi, comme on s’en doute, sous la forme de plusieurs révélations, dont celle qui viendrait expliquer pourquoi l’ensemble peut paraître aussi bête et même, par moments, bizarrement mal filmé et cadré.
Grand manitou, avec un film conçu comme toujours dans le secret, Dupieux demeure le grand chef d’orchestre de sa création assurant la réalisation, oui, l’écriture, évidemment, mais aussi la direction photo et le montage, bien épaulé par le producteur Hugo Sélignac qui lui fait montre d’une confiance aveugle de projet en projet depuis Mandibules (à l’exception d’Incroyable, mais vrai).
Bien sûr, ne vous attendez pas à ce que le film livre tous ses secrets. Riche, voilà une oeuvre qui se montrera certainement fascinante à voir et revoir pour s’interroger encore sur le vrai et le faux et les éclairs de génie dans les nombreux clins d’oeil et références.
Mieux encore, on aime la relation douce-amère avec le cinéma que le film expose, avec des questionnements sur son utilité, sur ses différents degrés de pertinence entre l’art dit plus intellectuel et l’autre plus grand public et tout ce qui peut bien se passer entre le tournage et le produit final. Car les cinéphiles le savent bien, on a beau aimer le cinéma d’amour, il n’en demeure pas moins que ce dernier nous donne souvent du fil à retordre et que les déceptions sont souvent plus nombreuses que les coups de coeur.
Soyez rassurés, toutefois, Le deuxième acte fait bien partie de la deuxième option. D’un grand brio et d’une maîtrise qui nous surprend à chaque détour, une fois que Dupieux aura mis fin à son travelling de la vie, histoire de nous faire souffler un peu après tous ces fous rires, on s’avouera encore conquis, touchés au coeur, la tête remplie de moments et de cette magnifique dernière réplique qui ne sont pas prêts de nous quitter.
8/10
Le deuxième acte a été vu dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma et prendra l’affiche en salle ce vendredi 18 octobre.