Film-hommage à la prétention plus ou moins assumée, il y a beaucoup à aimer dans la petite bibitte, à l’image de son sujet avouons-le, qu’est le Saturday Night de Jason Reitman, cette oeuvre qui nous amène en coulisses avant le premier épisode de cette institution qui vient justement de commencer sa 50e saison. Dommage, toutefois, que la proposition somme toute soignée ne s’attarde jamais sur ses éléments les plus intéressants.
S’il a certainement atteint depuis longtemps la reconnaissance de ses pairs, se retrouvant nommé aux Oscars pour deux de ses films, le cinéaste canadien Jason Reitman a d’une part toujours vécu un peu dans l’ombre de son père (le regretté réalisateur très apprécié Ivan Reitman, à qui il a rendu hommage via son Ghostbusters: Afterlife), mais a aussi montré un problème à trouver sa place dans le septième art, essayant avec plus ou moins de succès différents genres.
Si la complexité des relations humaines a toujours été au coeur de ses préoccupations, il a décidé ici de continuer d’exhiber sa maîtrise technique évidente, mais en la mariant cette fois à son désir de nostalgie.
En refaisant équipe avec son fidèle directeur photo Eric Steelberg par le biais d’un magnifique 16 mm, il perfectionne ainsi l’excellence de la reconstitution d’époque qu’il a atteinte avec le mésestimé The Front Runner (filmé uniquement avec la technologique de l’époque), le tout dans un exercice de style que ne renierait certainement pas Aaron Sorkin.
De fait, Jason Reitman reprend un peu un seul tiers du canevas utilisé par Sorkin pour son merveilleux scénario du Steve Jobs de Danny Boyle, en redonnant vie, plus ou moins en temps réel, aux 90 minutes qui ont mené à la diffusion du premier épisode de Saturday Night.
À travers plusieurs longs plans habilement montés, dont plusieurs plans séquences chorégraphiés avec un sens du timing irréprochable évoquant par moments ceux d’Innarritu dans son inoubliable Birdman or (The Unexpected Virtue of Ignorance), on se retrouve avec un objet qui est plus admirable à regarder et apprécier selon son audace et ses ambitions, plutôt que le produit final lui-même.
Ainsi, le fait d’avoir reproduit à l’échelle les mythiques studios 8H de la tour de NBC est carrément bluffant, tout comme le soin apporté aux accessoires, aux costumes et aux coiffures, notamment.
Sauf que le hic, c’est que toute cette immense bande de gens (le film met en scène plus d’une vingtaine de personnages), dont la plupart n’étaient pas nés aux moments des événements que le film reproduit, incluant le réalisateur lui-même, donne trop souvent l’impression d’être justement des personnes qui s’amusent à se déguiser et à jouer sur un sujet précis, plutôt que de véritablement incarner le tout.
On le sait, c’est à la fois le plaisir et les risques de s’attaquer au réel, mais cette fois, tout cela se retrouve sous le masque de la fiction, surtout pour quelque chose qui n’est pourtant pas si loin de nous et dont les archives sont plus faciles à trouver. Soit de voir comment ils sont parvenus à se coller à la réalité, mais aussi de découvrir durant l’écoute ou après via de fascinantes recherches, ce qui est vrai, ce qui ne l’est pas et les décisions qui ont découlé de ces changements ou ces ajouts.
Et pour avoir fait l’exercice, on peut tout de suite vous dire que ce n’est pas toujours les détails les plus abracadabrants qui sont les inventions, bien au contraire.
Par ailleurs, un peu à l’image d’un épisode de SNL, l’intérêt est variable et ce ne sont pas toutes les avenues empruntées qui sont réussies, quoique presque tout le monde devrait au minimum y soutirer au moins un truc qui lui plaît.
Si c’est déjà ça de gagné, on réalise aussi les écarts de talent entre des interprètes plus chevronnés et d’autres qui ont plus de difficultés.
Ainsi, si l’aisance de Willem Dafoe et J.K. Simmons (qui a fait partie de presque tous les projets du cinéaste) est indéniable, ou même celle – ludique – de Nicholas Braun dans un savoureux double-rôle, alors que Matthew Rhys est délirant en George Carlin, on a plus de misère avec Cory Michael Smith ou Matt Wood qui, au-delà de leurs physiques arrangés pour l’occasion à s’y méprendre pour ressembler aux Chevy Chase et John Belushi respectifs qu’ils incarnent, n’arrivent pas vraiment à apporter une dimension supplémentaire à ce qu’ils interprètent.
Même chose pour Nicholas Podany, que beaucoup ne risquent pas de réaliser qu’il est en fait le seul et unique Billy Crystal.
C’est peut-être un peu aussi le problème du film: ne pas trop savoir quoi raconter (au-delà des anecdotes et du chaos) ni vraiment savoir quelle réflexion apporter à cet ensemble autre que le fait qu’il s’agit de l’émission qui a changé l’histoire de la télévision au grand complet.
Pourtant, cet hommage est complètement indépendant du fait qu’on se retrouve avec un film sous la gouverne de Sony et non de Universal (à qui NBC appartient) et que Lorne Michaels (sujet principal du film) n’a pas du tout produit le projet.
Sauf que le désir évident de marcher sur des oeufs qui transparaît dans cette oeuvre, et de faire le tout avec grâce, donne constamment l’impression que la majorité des gens qu’on représente dans le film ont à un moment ou un autre donné leur accord et/ou qu’on cherche certainement leur approbation.
Certain diront aussi que le tout n’est jamais particulièrement drôle, mais plutôt amusant, cocasse. Ce qui n’est pas nécessairement un défaut, surtout qu’on construit pratiquement l’ensemble comme d’un suspense quasi-insoutenable, même si tout le monde sait comment ça va se terminer.
Le tout savamment bien rythmé par l’énergique trame sonore presque toute en percussions de Jon Batiste (qui interprète également Billy Preston dans le film), tout en pastichant avec brio les thèmes originaux de Howard Shore, le directeur musical des premières saisons. Bref, on déambule dans les couloirs sans jamais s’ennuyer.
On se plaît quand même à y croiser l’exhaustive galerie de personnages éclatés interprétés par les nombreux Dylan O’Brien, Lamorne Morris, Finn Wolfhard, Andrew Barth Feldman, Tommy Dewey et même Tracy Letts, s’ajoutant aux très nombreux noms déjà énumérés précédemment.
On réalisera aussi que la représentation des femmes, malgré le clin d’oeil au brillant sketch Hard Hat, laisse un peu à désirer. Après tout, d’avoir Rachel Sennott, mais de l’utiliser seulement comme faire-valoir dramatico-romantique sans jamais lui donner la chance de s’émanciper, devrait être interdit.
Et si Gabriel LaBelle, bien que neuf ans trop jeune pour le rôle, a le culot nécessaire pour interpréter l’unique Lorne Michaels, moins de deux ans après avoir incarné un jeune Spielberg dans The Fabelmans, il se fait continuellement damer le pion par le plus nuancé Cooper Hoffman, fils du regretté Philip Seymour Hoffman.
En effet, après son inoubliable performance dans le magnifique Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, Hoffman se montre encore une fois comme le coeur inattendu du long-métrage, offrant plusieurs des moments les plus réussis et sentis du film.
On salue tout de même le fait que malgré le terrain très large qu’on essaie de couvrir, on se retrouve en terres contrôlées et face à un chaos qui n’est jamais mélangeant ou trop envahissant.
On regrette davantage les tentatives d’apporter un peu de coeur et d’émotions mal dosées, par le biais d’une romance plus ou moins claire (Rosie est surtout là pour encourager son homme qu’elle n’endure pourtant plus au-delà de leur titre de mari et femme), d’un futur de débauche à venir (les discussions à double tranchant qui font référence à ce qui attend Chevy Chase), ou de métaphores qui manquent de subtilité (les briques à poser, fait véritable, précisons-le).
Reste alors un projet qui va au-delà du simple biopic, ce qui est tout à son honneur, mais qui ne va pas non plus au bout de ses possibilités. Comme quoi, pour célébrer les 50 années de quelque chose d’aussi marquant dans le paysage de la télévision, surtout considérant toutes les archives qui doivent être à portée de main, un documentaire aurait peut-être été plus approprié.
5/10
Saturday Night prend l’affiche ce vendredi en salle.