C’est lundi dernier, dans une ambiance fébrile et une excitation partagée et pleinement justifiée, que l’équipe de la minisérie Veille sur moi a présenté les premiers épisodes de cette oeuvre aux médias. Nous avons eu le bonheur d’y assister, tout comme de participer à une table ronde avec les principaux artisans de ce projet qui a été conçu pour être bouclé en six parties.
L’heure est à la bienveillance et si certains se tournent vers le passé, comme par exemple le récent long-métrage La petite et le vieux de Patrice Sauvé, adapté du roman du même nom de Marie-Renée Lavoie, l’équipe derrière cette nouvelle création originale de Radio-Canada a décidé de se tourner vers l’avenir.
De fait, pour ce projet que le directeur de la division des fictions dramatiques André Béraud a décrit comme un ensemble de premières (première idée originale de l’actrice qui n’est plus à présenter Guylaine Tremblay, premier scénario original de Pascale Renaud-Hébert à titre d’autrice unique et première fiction de Pamplemousse Média, la boîte de production de France Beaudoin également productrice du projet), vous n’assisterez pas à une multitude de flashbacks. Et ce, bien que la série fait le pont entre les erreurs du passé et le désir de se reconstruire dans le présent.
Pour tout le monde, il était important que malgré la dureté du sujet et des propos de la série, que la place soit toujours à l’espoir et de s’assurer que la lumière y soit omniprésente. Guylaine Tremblay précise que « c’est une histoire dure, mais qui ne t’écrase pas ».
Sous la gouverne du très prolifique cinéaste Rafaël Ouellet, qui multiplie les projets de tout acabit, habitué autant au petit qu’au grand écran, ainsi qu’à d’autres plateformes, le projet est empreint d’une tendresse indéniable qui centre toujours l’action sur ses personnages en ne négligeant jamais les spectateurs qui vivent avec eux ces moments aux émotions multiples.
Ainsi, bien que la série parle de violence conjugale, d’addiction, et principalement du combat pour la garde d’un enfant de 4 ans entre une mère absente qui revient dans le portrait et une grand-mère qui s’est assuré de l’élever pendant ce temps, on retrouvera dans l’écriture de Renaud-Hébert plusieurs touches d’humour inattendues, incluant un gag inoubliable sur Le Château, mais aussi sur la consommation d’un yogourt.
L’excellente distribution dominée par un duo épatant dont les flammèches et la complicité demeurent évidents entre Tremblay et Renaud-Hébert (surprenante dans ce rôle pas facile à défendre), a également beaucoup de plaisir avec l’ensemble. De manière non-exhaustive on peut compter sur la douceur clairvoyante de Fabiola Nyrva Aladin (qui retrouve ses collègues Chakra de Je viens vers toi) et le franc-parler de Karine Gonthier-Hyndman. Rose-Marie Perreault qui renoue avec Ouellet après Aller-Simple: Survivre est également impressionnante, tout comme le nouveau venu Jérôme Hébert qui doit beaucoup à sa coach de jeu Marie-Claude St-Laurent.
Il ne faut toutefois pas se laisser berner par les deux premiers épisodes, qui mettent la table pour tout ce qui est à venir, puisqu’un peu à l’image de Virage: Double-Faute, un des projets précédents du réalisateur, le tout va rapidement en pente ascendante sur une temporalité express étalée ici sur environ une année.
Et les choix déchirants, tout comme les moments crève-cœur, se font de plus en plus nombreux.
Bien qu’on a tenté de préserver le jeune acteur, tout comme les spectateurs, pour ne jamais rendre le tout aux limites du supportable, on ne peut cacher qu’il est difficile de reste impassible devant ce qui s’y passe, et de nombreux passages viennent nous chercher.
Sans tomber dans le jugement facile, bien au contraire, tous ont travaillé très fort pour que cette série serve plutôt de point de départ aux discussions et à ouvrir une réflexion sur la place de ces gens en manque de ressources dans un système qui ne semble pas toujours là pour aider, sans pour autant critiquer les travailleurs de l’ombre qui font de leurs mieux avec les protocoles déjà mis en place.
À la suite d’un travail de recherche minutieux, dans un désir d’être le plus près de la réalité possible (Pascale Renaud-Hébert a discuté de longues heures avec une travailleuse sociale, notamment), la série multiplie ainsi judicieusement les nuances, les zones grises ainsi que les points de vue, s’assurant de garder à l’avant-plan le bien-être des enfants et de se poser des questions, notamment sur la place des grands-parents dans la vie de ces derniers, du rôle légal de chacun, mais aussi de situations du genre d’un point de vue juridique.
Ce désir empathique face à ces situations plutôt difficiles (on vous met au défi de ne pas détester le personnage de Guillaume Laurin, qui risque de sonner des cloches face à tous ces « Joey » qui font partie, de près ou de loin, de votre entourage), a grandement résonné pour Guylaine Tremblay, qui a de son côté voulu se concentrer sur la dignité de sa Maggie honorant toutes les femmes lui ressemblant qu’elle a croisé dans sa vie qui, bien qu’imparfaites, font tout ce qu’elles peuvent au meilleur de leurs capacités, même si c’est parfois maladroit.
Alors que pour Pascale Renaud-Hébert, c’était dans son écriture qu’elle se sentait capable de se reconnaître et de s’identifier à tous ses personnages.
La série met ainsi habilement le doigt sur la difficulté de se placer objectivement devant ces situations.
On pense à la réplique « il y en a peut-être juste une qui est meilleure actrice que l’autre ». Sauf que l’écriture a aussi l’intelligence requise pour rapidement montrer qu’il y a souvent bien plus, derrière les premiers jugements, et qu’une simple décision, réaction ou autre, peut régulièrement cacher bien d’autres strates de complexités.
Enfin, si certains dialogues semblent parfois trop écrits et qu’on peut autant en prendre qu’en laisser (un délicieux montage sur Chats sauvages de Marjo pourra autant en attendrir qu’en agacer certains), on ne peut cacher que la série se dévore aisément et que sa pertinence pourrait difficilement être plus importante.
Évoquant de par sa minutie ce qui se fait beaucoup ailleurs, comme par exemple la très poignante Mare of Easttown diffusée sur HBO, c’est une série chaudement recommandée qui risque certainement de ne pas s’écouter dans l’indifférence et qui, on l’espère, pourra faire avancer les discussions. Parce que certains cycles mériteraient certainement d’être brisés.
Les six épisodes de Veille sur moi seront disponibles ce jeudi dans la section Extra de Tou.tv, avant une diffusion sur ICI Radio-Canada en janvier prochain.