La vie de Jeanne D’Arc, cette cheffe de guerre canonisée par l’Église catholique et morte sur le bûcher après avoir été accusée de sorcellerie, est assez bien connue par les chroniques rédigées à l’époque de son procès. Mais comme ce sont des hommes qui ont rapporté son histoire, ce qui la rend suspecte, Charlie Josephine reprend le récit de l’héroïne française de la guerre de Cent ans contre les Anglais pour en faire un personnage non-binaire, une Jeanne qui ne se reconnait pas dans son sexe de naissance.
La pièce originale, qui a connu un grand succès au Royaume-Uni, est traduite par Sarah Berthiaume et mise en scène par Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau. L’adaptation québécoise est excellente et les costumes bien trouvés. Sur la scène, dans un décor high tech minimaliste, mais efficace, une douzaine d’artistes très colorés et diversifiés racontent l’histoire de cette jeune fille de 17 ans animée par des pulsions de guerre qui lui sont inspirées du divin.
Que Jeanne d’Arc soit non binaire, on s’en doutait déjà. Les ethnographes français savent depuis longtemps que les personnages des légendes qui portent le prénom de Jean (ou Jeanne) sont souvent ambigus et partagés entre deux extrêmes. Jean et Jean se partagent l’an disaient-on autrefois, certes en référence aux deux Jean du christianisme (ambigus eux aussi) que sont le baptiste et l’évangéliste, et qui se situent à six mois d’écart dans le calendrier.
Mais on connait encore la légende de Jean qui rit, Jean qui pleure ou de Janus aux deux visages… En outre, les traités de sorcellerie médiévaux rapportent que cet art était considéré comme un art exclusivement féminin, exception faite des archers, dont Jeanne fait elle-même partie…
Ainsi, le spectacle Moi, Jeanne s’inscrit bien dans les préoccupations du moment concernant les questions de genre. C’est une œuvre joyeuse et au rythme intense, souvent très drôle, animée, avec des chorégraphies effrénées, et quelques personnages très intéressants. Mon préféré est le roi Charles, obligé à cause de sa petite taille de se hausser sur des chaussures à talons compensés et qui trône sur son fauteuil ringard plutôt destiné à s’endormir devant la télé. Le rôle est très bien interprété, et son passage de l’ennui à l’excitation hystérique est particulièrement réussi.
Pour l’humour et l’esthétique du spectacle, on est entre le Sacré Graal! des Monty Python et le côté rabelaisien du Combat de Carnaval et Carême de Brueghel. De l’exagération donc, du grotesque, du carnavalesque, de la caricature très distrayante et qui donne souvent à rire.
Moi, Jeanne
Texte : Charlie Josephine
Traduction : Sarah Berthiaume
Mise en scène : Geneviève Labelle, Mélodie Noël Rousseau
Avec : Lé Aubin, Alexandre Bergeron, Maryline Chery, Nathalie Claude, Laura Côté-Bilodeau, Lyraël Dauphin, Gabriel Favreau, Geneviève Labelle, Anna Moulounda, Tova Roy, Gabriel Szabo et Phara Thibault
Moi, Jeanne, du 24 septembre au 20 octobre 2024 à l’Espace Go, à Montréal