En étudiant comment certains jeux de rôle sur table mettent de l’avant l’identité queer, des chercheurs de l’Université Northeastern ont découvert des façons de favoriser l’inclusion des joueurs, y compris pour Donjons et Dragons, le titre le plus connu de l’industrie.
Si l’époque où jouer à D&D valait une étiquette de nerd, voire, dans certains cas, de sataniste, est révolue, avec aujourd’hui quelques 50 millions d’adeptes, les changements surviennent lentement au sein de l’univers appartenant à Wizards of the Coast, écrivent les chercheurs. D’autant plus que ce jeu a essuyé son lot de critiques en lien avec les questions d’apparence ethnique et de genre.
Ceux-ci se sont donc tournés vers le sous-genre des jeux de rôle queer pour comprendre comment des joueurs parviennent à créer des expériences qui mettent cette identité de l’avant, en parvenant, au passage, à favoriser l’inclusivité.
Ces travaux sont publiés dans les Proceedings of the 19th International Conference on the Foundations of Digital Games.
Selon Alexandra To, professeure adjointe d’art et de design, mais aussi conceptrice de jeux et coautrice de l’étude, l’idée au coeur des travaux de recherche est un terme appelé cercle magique, qui est utilisé en conception de jeux.
Lorsqu’un joueur entre dans un jeu, il « entre dans cet espace social alternatif où des comportements différents deviennent appropriés », dit-elle.
Ainsi, dans les jeux de rôle sur table, tous les joueurs comprennent qu’ils donnent vie à des personnages, et partent à l’aventure avec d’autres joueurs qui font de même.
Mais pour les joueurs queers, ou simplement des gens qui souhaiteraient interpréter un personnage d’un genre ou d’une orientation sexuelle différente, cela peut être accompagné de certains risques, soutiennent les chercheurs.
« Si vous décidez de jouer à un jeu de fantasy classique, vous avez probablement une relation avec les autres joueurs, mais vous ne savez pas nécessairement si tout le monde sera ouvert à l’idée que vous jouiez un personnage d’un autre genre », soutient Mme To.
Les joueurs queers ont toujours participé à des jeux comme D&D, mais ils ont souvent eu à modifier les règles ou à en créer de nouvelles afin d’offrir une expérience plus accueillante, ou du moins indiquer clairement que les joueurs peuvent sans problème s’adonner à des variations sur leur identité, a encore mentionné la chercheuse.
D’ailleurs, dans les sept parties incluses par les chercheurs dans leur étude, le fait de jouer avec un autre genre et une autre identité fait explicitement partie des règles et des mécaniques de jeu.
« Même si nous savons que ce genre d’interactions est possible dans d’autres espaces, le fait de le nommer de façon explicite, en mettant de l’avant ces mécaniques pour que tous doivent s’y intéresser, offre une grande sécurité et permet d’inclure tous les joueurs autour de la table », a poursuivi la Pre To.
« Cela met la table pour la façon dont nous allons tous avoir une conversation à ce sujet, et faire preuve d’ouverture, dans cet espace, tous ensemble. »
Commencer par le commencement
Selon ce que soulignent les auteurs de l’étude, une bonne partie du travail accompli par les créateurs de jeux, pour rendre leurs titres plus inclusifs, débute par la façon dont les joueurs créent leurs personnages.
Par exemple, dans Sleepaway, qui place les participants dans la peau de moniteurs de camp de vacances tentant de protéger les campeurs contre une force surnaturelle, les joueurs peuvent choisir leur genre en associant des mots provenant de deux catégories, soit une liste d’adjectifs, et une autre de noms, principalement des noms d’animaux.
« Même si vous ne pensez pas vraiment au genre dans votre vie de tous les jours, vous devez penser à ce que « aigle rouillé » veut dire pour vous, en tant que genre, si vous allez interagir avec cet autre personnage », donne ainsi comme exemple Jailyn Zabala, une autre autrice de l’étude.
À l’opposé, sur la feuille de personnage fournie par Wizards of the Coast pour créer un personnage dans Donjons et Dragons, aucune trace d’un endroit pour noter le genre ou l’orientation sexuelle. Cela n’empêche pas les joueurs d’inclure ces informations, mais cela laisse entrevoir ce que sont les priorités de l’entreprise, qui regroupent la création de quelque chose comme « un simulateur de combat dans un monde de fantasy« , estime Mme Zabala.
La plupart des jeux examinés priorisaient des choses autres que le combat, comme le fait de nouer des relations. Même lorsque les titres incluaient le potentiel de séquences de combat, ils portaient plutôt sur « les aspects narratifs qui surviennent pendant un conflit, et il y a beaucoup de mécaniques pour désamorcer la situation et avoir des conversations », a assuré la Pre To.
Dans un autre jeu, Monster Hearts, les joueurs peuvent choisi de poser l’action consistant à « aguicher quelqu’un », et leur succès est déterminé par un lancer de dés, sans égard à la façon dont un personnage définit sa sexualité.
Ces situations ne nécessitent pas que des personnages changent leur identité en réaction à celles-ci. Selon Mme Zabala, cependant, il s’agit d’un rappel du fait que l’orientation sexuelle n’est pas un choix et que des forces externes peuvent avoir un impact sur les réponses émotionnelles, physiques et sexuelles d’une personne dans une situation donnée.
« Cela vient jouer sur l’idée de la fluidité de la sexualité », poursuit Mme Zabala. « Même si vous vous identifiez d’une certaine façon, il est toujours possible de ressentir des choses à l’extérieur de ce cadre. »
Désormais, les créateurs de jeux de rôle sur table plus « classiques », comme Donjons et Dragons, commencent à promouvoir ce genre de conversations et idées, afin de correspondre à la diversité de leur public, un public qui réclame déjà des changements, expliquent les autrices de l’étude.
Mais pour les deux femmes, même les jeux de rôle les plus importants au monde pourraient apprendre certaines choses auprès des titres plus spécialisés.
« Bien des jeux utilisent les mêmes méthodes qui semblent coulées dans le béton. Mais tout cela s’appuie sur des hypothèses que vous ne devriez pas hésiter à remettre en question, si vous souhaitez avoir ce genre de conversation », juge Mme Zabala.
« Je crois que cette vision des choses gagne du terrain. Si D&D commence à intégrer ce genre de façon de faire, alors on peut enfin se dire que la situation s’améliore. »