C’en est sans doute devenu un cliché: pour s’affirmer et affirmer sa différence, un créateur, qu’il s’agisse d’un livre, d’un film ou d’une pièce de théâtre, va puiser dans ses origines pour raconter son parcours, histoire de lever le voile sur ses origines. Mais dans La démagogie des dragons, cette idée de récit initiatique est mise à mal… pour le plus grand plaisir de ses créateurs… et des spectateurs. Rencontre.
« Je pense que pour les artistes racisés, en général, on s’attend, dans le milieu, à ce que l’on parle de notre culture d’origine – et donc, pour moi, du Vietnam », lance tout de go Tamara Nguyen, l’autrice de cette pièce qui sera jouée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui dès le 16 septembre, dans une mise en scène de Vincent Kim.
« Ce sont beaucoup des questions qui m’ont été posées, depuis que je suis entrée dans le milieu théâtral, en plus d’être un peu des attentes sous-jacentes, lorsque j’entame un projet, que je possède des connaissances sur le Vietnam, mais aussi sur l’Asie en général », ajoute la jeune femme.
« La vérité, c’est que ma connaissance du Vietnam, avant mes 30 ans, ce n’était pas fou… Mon père est né en France, en raison de la colonisation, je connais donc surtout la culture française. Je ne parle pas vietnamien, je connais surtout la cuisine de mon père, et c’est à peu près tout ce que je connais. »
Toujours selon Mme Nguyen, l’idée de « faire cette quête identitaire que l’on attend de nous, mais de ne pas la faire pour vrai » est rapidement apparue lors d’échanges avec Vincent Kim, le metteur en scène.
« On s’attend à ce que l’on parle du Vietnam, et que l’on éduque le public à propos de nos origines vietnamiennes, eh bien, on va le faire avec les connaissances que nous avons », a poursuivi l’autrice.
D’ailleurs, les deux personnages de la pièce se nomment Vincent et Tamara, « mais ils sont très éloignés de nous; ils prennent de petites bribes de notre parcours, mais ce sont aussi des personnages qui sont bourrés de défauts. Des fois, j’ai l’impression qu’on ne se permet pas, en tant que personnes racisées, de mettre en scène des personnages complexes, humains et bourrés de défauts. Et eux, ils le sont, à 100%, et je pense que ça nous a fait du bien », a encore déclaré Mme Nguyen.
Et même si La démagogie des dragons s’articule d’abord autour de l’idée de faire sourire, en lien avec cette obsession du récit initiatique, l’oeuvre aura quand même permis à Tamara Nguyen et Vincent Kim d’en apprendre davantage sur leurs origines.
« Il y avait toujours en nous cette idée d’aller au Vietnam, mais je ne pense pas que lui ou moi arrivions vraiment à intellectualiser, comprendre ce désir de voyager. Et finalement, nous sommes tous allés au Vietnam, lui, moi et les deux interprètes du spectacle, Dominick Rustam et Claudia Chan Tak, et je pense qu’il y a vraiment quelque chose qui est venu nous chercher », a précisé l’autrice.
« C’était la première fois que je marchais dans la rue et que les gens ressemblaient à mon père, et que nous nous retrouvions aussi face à une cuisine que nous connaissions, qu’il était possible de comprendre d’où cette cuisine venait, ou encore d’identifier les paysages dont on nous parlait durant notre jeunesse… Cela a vraiment été quelque chose qui est venu nous chercher. »
La jeune femme a par ailleurs indiqué que La démagogie des dragons s’adresse non seulement aux spectateurs racisés qui s’interrogent eux-mêmes sur leurs origines, mais aussi aux personnes blanches qui semblent régulièrement réclamer ce type de récit initiatique.
« Les Québécois asiatiques, mais dans un sens plus large, les enfants d’immigrants vont pouvoir se reconnaître là-dedans. C’est vraiment une expérience particulière d’avoir l’air de ce que nous avons l’air, mais de vivre au Québec et d’avoir une manière de vivre et une culture québécoises, tout en étant vus comme des étrangers. Et en même temps, oui, on a envie d’avoir ce public-là et de lui dire qu’on a parlé de nous, peut-on passer à autre chose, maintenant? »
La démagogie des dragons, de Tamara Nguyen, une mise en scène de Vincent Kim; avec Claudia Chan Tak et Dominick Rustam
Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, du 16 septembre au 11 octobre 2024