Près de trois heures: la nouvelle version de Caligula, un film si scandaleux que lors de sa sortie, en 1980, de nombreuses bobines ont été retirées des salles, le tout sur fond de manifestations et de poursuites, de la part du scénariste original, pour faire retirer son nom du générique, s’étend sur 180 minutes, et l’on ignore encore si c’est une bonne ou une mauvaise chose.
À l’aide de près de 100 heures de matériel retrouvées sur différentes bobines, l’oeuvre d’abord signée Gore Vidal a droit à une nouvelle vie sur grand écran, le tout avec une restauration en très haute définition. Financé par nul autre que le créateur de Penthouse, Bob Guccione, le projet avait dérapé avec l’inclusion forcée de véritables scènes pornographiques et de la violence gratuite.
Cela n’avait toutefois pas empêché le film de faire résonner le tiroir-caisse.
Plus de 40 ans plus tard, cependant, Thomas Negovan pilote cette reconstruction (sans porno, faut-il préciser) où il est possible de voir un Malcom McDowell complètement déjanté interpréter le troisième empereur romain, un homme si étrange, si imbu de lui-même, si violent et tyrannique qu’il fut assassiné après seulement quatre années de règne, en l’an 41 de notre ère.
Et donc, trois heures, à quelques minutes près. Trois heures durant lesquelles on a autant droit à de la grande audace cinématographique, avec des décors aussi magnifiques que gigantesques, ainsi que des choix artistiques surprenants: en effet, si la pornographie pure et dure a disparu du film, la nudité est particulièrement répandue, chez les hommes comme chez les femmes. S’agit-il de l’excentricité du scénariste? D’une tentative de représenter la décadence de la Rome impériale? D’une envie d’attirer le public à une époque où la sexualité était à la fois de plus en plus libérée, mais aussi généralement censurée au cinéma?
Impossible d’en avoir le coeur net. Ce que nous savons, toutefois, c’est que Malcom McDowell et Helen Mirren (!), vêtus de toges diaphanes, alternent entre scènes oniriques à fort caractère sexuel et moment de rage et de violence pures, lorsque Caligula décide d’en faire à sa tête et d’assassiner un autre rival présumé.
La Rome antique était certainement violente; il n’en reste pas moins que certaines scènes, notamment celle d’un mariage où l’empereur se met en tête de violer les deux mariés, sont difficiles à regarder.
Et s’il y a absolument beaucoup de choses à dire, sur le plan historique, à propos de cet empereur absolument mal préparé à régner, et dénué du flair nécessaire pour naviguer à travers l’univers social et politique romain, avec ses conspirations, ses jeux de coulisses et ses assassinats, ici, le film se contente de nous montrer des corps nus et un Malcom McDowell qui cabotine.
On cherche en effet le point de bascule, ce moment où l’empereur commence vraiment à perdre la tête, si tant est qu’il l’a effectivement perdue, et non pas qu’il a pris des décisions rationnelles jusqu’à la toute fin de son règne, croulant plutôt sous la pression.
Mais Caligula n’offre rien en ce sens. On demeure concentré sur McDowell et sa suite, sans avoir de vrai aperçu de la société romaine dans son ensemble. Oui, l’empereur semble s’enfoncer dans la folie, allant jusqu’à affirmer qu’il était un véritable dieu dans le corps d’un homme, mais après 90 minutes de ce traitement, on sent qu’on commence à avoir fait le tour de la chose. Et lorsque le film se termine enfin, après quasiment trois heures de costumes légers, de décors somptueux et d’acteurs à moitié nus, le cinéphile peut enfin pousser un soupir de soulagement.
Caligula possède bien des qualités cinématographiques. Et il est même possible d’avancer l’argument selon lequel il est tout à fait approprié de vouloir créer une oeuvre construisant une ambiance, une atmosphère, plutôt que d’offrir un point de vue beaucoup plus terre à terre, par exemple avec des considérations sociales ou politiques. Cela étant dit, le film n’évolue jamais au-delà de cette prémisse. Ironiquement, d’ailleurs, il s’agit d’une oeuvre à la fois trop longue et trop courte. En l’état, Caligula est certainement du cinéma, mais certainement pas un bon film.