Il faut se nourrir, c’est bien connu; maintenant, préfère-t-on la pâte, le pepperoni et la sauce tomate, ou une autre forme de liquide rougeâtre, c’est-à-dire celui qui coule dans nos veines? Dans le cadre du festival Fantasia, deux courts-métrages explorent, l’un de façon sombre, et l’autre de façon plus excessive, la notion de bonne chair/chère.
Tout faire pour son enfant
Dans Dirty Bad Wrong, la situation semble presque banale, tant elle témoigne d’un état de fait qui transcende les époques et les conventions sociales: une jeune mère, que l’on imagine être monoparentale, se prostitue. Pire, elle doit amener son fils chez son client, n’ayant pas réussi à trouver de gardienne avant son rendez-vous.
Déjà, on joue dans le malaise. La mère en question, jouée par une Michaela Kurimsky tout en nuances et en réserve, se doute bien que son fils sait ce qu’elle fait comme travail. Ce dernier doit avoir cinq ans, après tout, si ce n’est pas plus. Et clairement, le personnage principal éprouve une honte certaine à devoir vendre son corps pour boucler les fins de mois.
Ce qui dérange encore plus, c’est lorsqu’elle refuse une somme d’argent importante en affirmant « qu’elle ne fera pas ça », le « ça » faisant vraisemblablement référence à un acte ou une pratique qu’elle trouve dégradante. Ou la chose est-elle plutôt dangereuse?
Le court-métrage, d’une durée d’environ 15 minutes, prend son temps pour établir son atmosphère. On en vient pratiquement à se demander quand nous verrons apparaître l’aspect « film de genre »… Nous sommes à Fantasia, après tout! Mais plutôt que de donner dans l’extraterrestre, le monstre engoncé dans un costume en caoutchouc ou quelque chose d’aussi kitsch, la réalisatrice Erica Orofino ajoute juste assez d’images étranges et déroutantes pour renforcer ce sentiment d’horreur ordinaire.
Non pas que le travail du sexe soit une mauvaise chose, en soi; mais vendre son corps, y compris en se mettant potentiellement en danger, parce qu’il s’agit de la seule option, ça, c’est différent. Et Dirty Bad Wrong le démontre clairement.
Pizza au déjeuner, pizza en soirée…
Ah, la pizza! Un mets rapide, chaud, et qui peut s’avérer délicieux si les ingrédients sont de bonne qualité. Dans Make me a pizza, toutefois, la réalisatrice Talia Shea Levin propose quelque chose de plus. Quelque chose comme un mélange psychédélique de porno cheap, de révolution communiste et de communion avec le divin. Le tout en s’essuyant les mains pour éponger le trop-plein de gras.
Le porno cheap, d’abord, oui, car le court-métrage s’ouvre sur une parodie d’innombrables films de fesses. Tournée en 16 mm, l’oeuvre met en vedette une femme vivant dans une grande maison sans âme (Sophie Neff), et qui accueille un livreur de pizzas (Woody Coyote) qui arbore autant la coupe Longueuil que la moustache de circonstance. Sans oublier les shorts en jeans coupés.
Supposément sans le sou, la femme s’offre en échange de cette nourriture circulaire. Et si notre livreur finira bel et bien par sortir son propre saucisson, la chose prend rapidement des allures d’argumentaire valorisant le travail de tous, du producteur de blé au type qui façonne la pâte, en passant par le producteur de tomates, voire même l’éleveur dont les vaches produiront le lait servant à fabriquer le fromage.
Qui n’a jamais rêvé d’une ode au marxisme tout en copulant sauvagement, son torse poilu englué de fromage et de sauce? Qui n’a jamais voulu, non plus, entrer en communion avec une puissance plus grande que soi, alors que l’on semble s’enfoncer dans une mer de garnitures et de gras?
« L’artifice et le désordre de la passion et de la pizza offrent une vérité plus profonde, en créant un chaos génératif, ou du moins, en fournissant du divertissement », a déclaré la réalisatrice. Ce qui est clair, c’est que ce plat permet effectivement d’explorer toutes sortes de facettes de l’expérience humaine, de la plus collante à la plus fromagée.