Près de 20 milliards de dollars: voilà ce que les différents services de police ont coûté aux contribuables canadiens, en 2023, selon Statistique Canada. Aux yeux de chercheurs de l’Université d’Ottawa et de l’Université Carleton, toutefois, ces sommes astronomiques, qui ne cessent d’augmenter, n’ont que peu ou pas d’influence sur la criminalité au pays.
Ce point de vue, disent-ils, s’appuie sur une analyse d’études sur la criminalité réalisées au Royaume-Uni et aux États-Unis. Analyse qui permet de soutenir que « les investissements dans des programmes s’attaquant aux facteurs de risque permettent d’obtenir de meilleurs résultats que des innovations du côté de la lutte contre les problèmes ».
Toujours selon ces chercheurs, soit le professeur Irvin Waller et le doctorant Jeffrey Bradley, le budget des services policiers canadiens « a augmenté de 50% plus rapidement que l’inflation depuis 20 ans ». Pourtant, « le taux d’homicides est en hausse, ce qui alimente la peur; le nombre de crimes violents a lui aussi augmenté, pour atteindre le total d’il y a 20 ans », disent ces deux spécialistes.
Et cela, c’est sans compter la violence qui frappe les populations autochtones, où le taux d’homicide « est six fois plus important que chez les Allochtones », ou encore le fait « qu’une femme sur trois sera victime d’une forme de violence, dans sa vie ».
Les auteurs des travaux rappellent également que « la majorité des budgets des services de police proviennent des taxes municipales », des dépenses « qui ont augmenté plus rapidement que les investissements dans les transports collectifs ou les services sociaux ».
Et si la part payée par les citoyens varie largement, par exemple de 496 $ par habitant, par année, à Vancouver, contre 217 $ par citoyen de Québec, il s’agit malgré tout de frais conséquents.
Les chercheurs s’appuient par ailleurs sur une étude, publiée en janvier de cette année dans Canadian Public Policy, pour soutenir « qu’il n’existe pas de corrélation constante entre les budgets de la police et le taux de criminalité au pays ».
L’exemple de Chicago, une ville possédant une population similaire à celle de Toronto, est frappant: la métropole américaine possède 13 000 policiers, contre 6000 pour la Ville Reine. Malgré tout, la Ville des Vents recense environ 600 meurtres par année, contre 70 dans la métropole ontarienne.
« L’augmentation du nombre de crimes violents, au Canada, se produit en parallèle de la croissance des budgets des services de police, et alors que les tribunaux croulent sous les dossiers et que les prisons débordent », écrivent MM. Waller et Bradley.
Intervenir en amont, plutôt que punir
En s’appuyant sur des données de 2008 publiées par le ministère de la Justice, les chercheurs ont mis à jours les conclusions de l’époque pour estimer que la criminalité entraîne des coûts sociaux et économiques de l’ordre de 22 milliards de dollars uniquement en termes de frais de fonctionnement de la justice, 68% de cette somme allant aux services de police.
Par ailleurs, les deux hommes jugent que les victimes subissent des pertes tangibles de 23 milliards en lien avec des dégâts liés à des propriétés et à la productivité, « et au moins de 100 milliards sous la forme de dégâts intangibles comme la douleur et la souffrance ».
Pour réduire ces montants colossaux, les chercheurs proposent d’intervenir en amont, notamment auprès des jeunes, sous la forme de programmes sociaux qui ont fait leurs preuves.
« Depuis un certain temps, des experts canadiens ont évoqué une étude de 2010 qui a révélé que pour chaque dollar dépensé dans des services de garde enrichis et des programmes destinés aux parents, la communauté obtenait des avantages avoisinant les sept dollars, sous la forme d’une criminalité et des coûts de justice réduits », écrivent-ils, avant d’affirmer « qu’il existe aujourd’hui des programmes avec des retours bien plus importants ».
« Les preuves le démontrent: améliorer la sécurité du public passe par des investissements intelligents qui réduisent le crime, plutôt qu’en augmentant les taxes afin de payer pour des programmes et des services qui n’atteignent pas cet objectif », affirment encore MM. Waller et Bradley.