Les jeunes électeurs, soit les milléniaux et les membres de la génération Z, émergent en tant que centre du pouvoir démographique dans la sphère politique américaine, mais de nouvelles études réalisées par des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley révèlent que ces mêmes électeurs sont fatalistes devant de graves problèmes comme les inégalités économiques, la crise climatique et l’avenir de la démocratie.
Déjà, en 2020, les jeunes électeurs ont eu un impact décisif dans les résultats de la présidentielle, mais aussi lors des élections au Congrès de 2018 et 2022, selon ces travaux de recherche. Et maintenant, avec la présidentielle de 2024 dans moins de six mois, l’analyse du Berkeley Institute for Young Americans suscite des inquiétudes à propos d’un possible fort taux d’abstention chez ces jeunes adultes, en novembre.
Ainsi, deux nouvelles études offrent un aperçu détaillé des valeurs sociales et des comportements politiques des électeurs de 18 à 43 ans. Certaines conclusions divergent fortement des stéréotypes à propos des comportements de ces électeurs des plus jeunes générations.
De façon surprenante, écrivent les chercheurs, les valeurs des électeurs millénariaux et de la génération Z, sur l’ensemble du spectre politique, tendent à converger à propos de certains enjeux. Mais les chercheurs ont constaté l’existence d’un fossé important en matière de politique américaine: autant les jeunes libéraux que les conservateurs souhaitent que le gouvernement agisse pour régler les problèmes existants, alors que leurs parents et grands-parents sont en conflit, depuis un demi-siècle, à propos du rôle de l’État.
Au même moment, plusieurs jeunes électeurs semblent partager l’idée que des systèmes gouvernementaux dysfonctionnels et fracturés sont incapables de s’attaquer aux défis qui touchent largement leur génération. Un sentiment de fatalisme s’étend à travers la droite, le centre et la gauche, au dire des chercheurs.
« Les millénariaux et les Z sont des générations sans précédent dans l’histoire, en raison des risques auxquels elles font face », soutient Erin Heys, l’une des responsables de l’étude.
« De la crise du logement à la menace de la crise climatique et de l’intelligence artificielle, les jeunes se disent qu’il n’y a plus d’espoir lorsqu’il est question des défis qu’ils doivent surmonter, et sont désillusionnés par un système politique qui ne répond pas à leurs besoins. »
« Dans le cadre de cette année électorale essentielle, le fait que les jeunes décident ou non de voter pourrait changer le résultat du scrutin », soutient Sarah Swanbeck, une autre chercheuse liée aux travaux.
« Ces nouvelles études nous offrent un premier aperçu de l’un des facteurs qui pourraient jouer sur le taux de participation des jeunes: leur sentiment croissant de fatalisme, et leur vision selon laquelle le rêve américain est de plus en plus hors de portée. »
Un historique de passation du pouvoir des plus vieux vers les jeunes
Les nouveaux travaux de recherche de l’institut sont publiés alors que la politique américaine se trouve à un tournant. Le président sortant, Joe Biden, a 81 ans. Son opposant, l’ex-président Donald Trump, en a 78. Il est probablement certain que l’élection de 2024 représentera la fin d’une ère au cours de laquelle les personnes provenant de la génération née avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ou tout juste après, ont dominé le leadership politique de ce pays.
Sous certains angles, les millénariaux et les Z pourraient, d’ici 2028, représenter la moitié de l’électorat des États-Unis. Et des millions de Z pourront voter pour la première fois, cette année.
En tout, ces dizaines de millions de jeunes Américains font face à des risques difficilement imaginables pour les personnes plus âgées: une inégalité économique extrême, la crise climatique et des changements technologiques à vitesse grand V qui ébranle la stabilité politique et économique aux États-Unis, mais aussi ailleurs dans le monde.
Selon les chercheurs de Berkeley, ces électeurs sont désillusionnés parce que les générations précédentes n’ont pas été en mesure de régler ces problèmes, mais aussi d’autres enjeux, et semblent simplement léguer le tout à leurs enfants.
Quelle sera la réaction des jeunes électeurs?
Si ces millénariaux et Z sont assez nombreux pour déterminer le résultat des élections, l’étude de Berkeley évoque d’autres travaux démontrant que les jeunes conservateurs quittent le Parti républicain, tout comme des millions de jeunes libéraux et progressistes se désaffilient du Parti démocrate.
Un grand nombre d’entre eux sont si désillusionnés qu’ils pourraient carrément décrocher de l’arène politique, avance l’étude. Cette crainte est renforcée par un coup de sonde du UC Berkeley Institute of Governmental Studies, qui révèle que plusieurs électeurs, et plus particulièrement les jeunes, pourraient rester à la maison, le jour de l’élection, parce qu’ils n’aiment pas les choix offerts.
Mais, indique encore l’étude, le changement générationnel pourrait aussi créer les conditions pour que des élus plus jeunes laissent les affrontements de côté et cherchent plutôt de nouvelles idées pour résoudre les problèmes existants.
Laisser la politique de côté, ou se mobiliser pour changer le monde?
Les deux études réalisées par les chercheurs de Berkeley se penchent sur les facteurs complexes qui viennent modeler les attitudes et comportements politiques de ces deux générations.
Dans la première d’entre elles, Mme Heys décrit les deux plus jeunes générations d’électeurs comme étant un contingent « qui est fondamentalement différent » des générations précédentes.
Comme le rappellent les chercheurs, ces deux générations « ont enduré les attaques terroristes du 11 septembre 2001, ainsi que la crise économique de 2008. Elles ont été témoins de l’élection de Barack Obama, le premier président américain noir, ainsi que celle de Donald Trump, dont les alliés du mouvement MAGA ont tenté de renverser les résultats de la présidentielle de 2020 par la force ».
Ces électeurs sont aussi plus diversifiés et plus calés en technologie, et ont contribué à des mouvements comme Occupy Wall Street et Black Lives Matter. La pandémie de COVID-19, elle aussi, a eu un impact culturel important sur ces générations.
Celles-ci ont émergé de ces expériences pénibles en étant décisivement plus libérales que les générations précédentes, écrit encore Mme Heys. Selon cette dernière, leurs valeurs sont aussi davantage égalitaires, en plus d’être plus critiques des failles dans la démocratie américaine et de la distribution inégale de la richesse et du pouvoir.
La chercheuse a de fait constaté que les valeurs, chez les jeunes conservateurs et les jeunes libéraux, sont plus « homogènes » que chez les générations plus âgées.
« Les valeurs des jeunes conservateurs, en particulier, sont en train de changer, alors que ces gens sont plus égalitaires et fatalistes, comparativement aux conservateurs plus âgés », écrit Mme Heys. « Cette structure de valeurs en transformation pourrait jouer sur les attitudes des jeunes conservateurs, qui ont des avis plus libéraux sur des questions comme l’égalité raciale, la crise climatique, les soins de santé universels et l’avortement. »
Des implications troublantes pour les prochaines élections
Toujours dans le cadre des travaux, il a été établi que les millénariaux et les Z sont plus nombreux à croire que « le gouvernement devrait en faire davantage pour résoudre les problèmes de la société, même si cela veut dire hausser les impôts de tout le monde ».
Mais l’échec du gouvernement de s’attaquer aux enjeux qui touchent directement la vie des jeunes – comme le climat, et les coûts de l’éducation, du logement et de la santé – alimente un « fatalisme pervasif ».
Malgré tout, ces tendances ne sont pas uniformes, lit-on dans les études. Mme Heys a ainsi constaté que les jeunes hommes sont davantage individualistes, alors que les jeunes femmes sont plus portées vers des valeurs égalitaires. Et chez les jeunes gens provenant de communautés racisées, il existe là aussi une tendance vers davantage d’individualisme, et moins vers une orientation collective.
Ces conclusions ont des implications troublantes pour les futurs scrutins.
Malgré tout, les chercheurs jugent qu’il existe un espoir pour l’implication politique des jeunes Américains.
« Nous sommes encouragés par le fait que les jeunes, de tous les camps politiques, se rassemblent davantage autour de valeurs communes que leurs prédécesseurs », a dit Mme Heys.
« Cela veut dire qu’alors que les jeunes générations deviendront la force politique dominante, au cours des prochaines années, elles seront davantage portées à s’unir autour de nouvelles idées politiques pour résoudre les problèmes d’aujourd’hui. »
« Mais pour que cela se produise, a ajouté Mme Swanbeck. Les candidats souhaitant avoir des liens et inspirer ce groupe de jeunes électeurs devront offrir un antidote à ce sentiment de fatalisme en proposant de véritables solutions aux menaces existentielles qui planent sur ces jeunes générations ».