Premier long-métrage de fiction pour la réalisatrice Joanna Arnow, qui signe aussi le scénario, sans oublier le montage, The Feeling That the Time for Doing Something Has Passed a beau être classé comme une « comédie », il s’agit alors d’une comédie noire. Ou, plutôt, d’un drame ordinaire dépeignant quelque chose comme l’inéluctabilité de l’existence. Quitte à attendre, jusqu’à ce que mort s’ensuive, qu’il se passe quelque chose.
Ann S., un personnage justement joué par Mme Arnow, erre dans une existence morne et en apparence sans avenir. Oh, elle a bien une relation BDSM avec un homme plus âgé, mais ce dernier semble autant se préoccuper du plaisir et du bonheur de sa partenaire que de sa prochaine visite chez le dentiste.
La première scène du film, d’ailleurs, où notre héroïne tente maladroitement de se masturber en se frottant, par-dessus la couverture, sur la jambe de son « maître », alors que celui-ci, vêtu d’un pyjama, semble très heureux de faire semblant de dormir, est assez parlante: dans ce monde, la femme de 33 ans ne compte pas.
Même situation à son travail, un lieu où l’ambition et la joie de vivre vont pour mourir, ou au yoga, où l’instructrice annone des choses génériques comme « vous êtes plus que votre travail » à des gens qui ne trouvent d’échappatoire à un travail mortifère que lors de ces brefs cours, justement.
Même situation, aussi, avec la famille de notre personnage principal: de la mère, on ne verra ni n’entendra à peu près rien, si ce n’est des commentaires négatifs rapportés par notre héroïne. Et c’est pire du côté des grands-parents, avec une grand-mère aussi aigrie que capable de lancer des phrases en apparence anodines, mais qui sont en fait assassines.
Il faudra longtemps pour que l’on commence enfin à constater que les choses peuvent changer dans la vie de cette jeune femme ordinaire, coincée dans un emploi ordinaire, avec des fréquentations plus qu’ordinaires…
Ce changement, cette transformation peut-elle s’inscrire dans la durée? Sommes-nous prisonniers de nos réflexes, de nos référents, de notre cercle social? Le film tente d’y répondre de façon particulièrement lente et méthodique.
Proposition surprenante, mais peut-être sous une forme réservée à un public niché, The Feeling That the Time for Doing Something Has Passed est un film qui ose explorer un aspect peu ou pas abordé à l’écran: pas une existence terrible, pas une existence merveilleuse, mais une existence beige, dont il est souvent bien dur de s’extraire.