Lorsque Frank Miller et Geof Darrow, deux légendes du monde des comics, font équipe, le résultat ne peut être qu’exceptionnel, et c’est précisément le cas de The Big Guy and Rusty the Boy Robot, un album de 1995 qui a récemment été réédité par Futuropolis.
Dans les laboratoires Itsibishi à Tokyo, des dizaines de scientifiques se livrent à ce qu’ils considèrent l’expérience génétique la plus extraordinaire de l’histoire du monde, altérant les éléments constitutifs de l’existence elle-même et recréant la soupe primordiale telle qu’elle était il y a quatre milliards d’années dans l’espoir de faire apparaître la vie. Leur tentative de jouer à Dieu est couronnée de succès, mais ils donnent malheureusement naissance à une entité animée par l’esprit du mal primordial, un monstre ne cessant de grandir et dont ils perdent rapidement le contrôle.
En plus de semer le chaos et la destruction à travers la ville, l’énorme monstre contamine en plus tous les gens qu’il touche, les transformant en créatures écailleuses dénuées de raison qui ne sont plus que des esclaves au service d’une force maléfique. Le kaiju ne fait qu’une bouchée des forces d’élite de l’armée japonaise envoyées pour le mater, écrabouillant les hélicoptères et les tanks comme de vulgaires insectes. En désespoir de cause, les autorités s’en remettent alors à Rusty, un prototype de robot qui n’a jamais été préparé ou testé, et dont la toute première mission pourrait bien constituer la dernière chance de survie de l’humanité.
Avec à son actif des œuvres iconiques comme The Dark Knight Returns, Sin City ou 300, même les personnes peu familières avec le monde des comics connaissent le nom de Frank Miller. Si sa renommée n’est pas aussi grande auprès des néophytes, Geof Darrow est un véritable virtuose du dessin, et ceux qui ont eu la chance de découvrir sa série The Shaolin Cowboy (lire notre critique ici) sont immédiatement tombés sous le charme de son immense talent. C’est le légendaire Moebius qui a présenté Frank Miller à Geof Darrow, et les deux ont collaboré ensemble tout d’abord sur Hard Boiled en 1990, puis sur The Big Guy and Rusty the Boy Robot en 1995.
Bien qu’il ait été conçu par deux Américains, The Big Guy and Rusty the Boy Robot puise allégrement dans la culture populaire japonaise, et pas seulement parce que son action se déroule à Tokyo. Le gigantesque kaiju semant la mort sur son passage est un clin d’œil à Godzilla, Rusty est manifestement calqué sur Astro le petit robot, et le titan de métal surnommé Big Guy et conduit par un humain évoque Goldorak. Tout en opposant la science à la magie et en remettant en question la place de l’humanité au sommet de la chaîne alimentaire, Frank Miller opte pour un récit simple, qui donne toutefois à Darrow l’occasion de briller.
Imprimée sur des pages de grand format faisant 236 x 332 mm, cette réédition de The Big Guy and Rusty the Boy Robot permet d’apprécier la richesse graphique de Geof Darrow à sa juste valeur, et rarement a-t-on vu la destruction à grande échelle dessinée aussi délicatement. Vitres des gratte-ciels éclatant en mille morceaux, tôle déchirée des voitures, béton fracassé par le poids du monstre, visages de la foule en panique, chaque case est un pur délice visuel rendu avec une minutie et un souci du détail époustouflant. L’artiste truffe ses paysages urbains de centaines de panneaux publicitaires, dont les mascottes typiquement japonaises avec leur côté « kawaii » créent un contraste avec le carnage ambiant.
En plus du récit principal se déclinant en deux chapitres, l’album contient également une courte histoire scénarisée et illustrée par Geof Darrow. Intitulé Allo fête nationale, le maître-nageur ne répond plus!!!!!!, le récit met en vedette Big Guy et Rusty le robot protégeant les vacanciers contre un monstre gigantesque sorti de la mer lors des célébrations du 4 juillet aux États-Unis. Le livre se termine sur une douzaine de couvertures pour des numéros de la série qui n’existent pas (et qui seraient parus entre 1959 et 1997), ainsi qu’une galerie de pin-up. L’œuvre comprend en plus une nouvelle coloration signée Dave Stewart.
Immense classique, The Big Guy and Rusty the Boy Robot n’a pas pris une seule ride, et vaut encore la peine d’être lu de nos jours. Avec ses pages de grand format rendant justice aux illustrations de Geof Darrow, il s’agit d’une édition proche du livre d’art, que tous les collectionneurs voudront se procurer.
The Big Guy and Rusty the Boy Robot, de Frank Miller et Geof Darrow. Publié aux éditions Futuropolis, 112 pages.