L’époque est celle où n’existent pas encore les moyens de communication modernes, mais où l’avènement des moteurs sur les navires peuvent causer des dommages. Le père est gardien de phare, la mère et la dernière des trois filles l’accompagnent dans ce lieu presque désert, au milieu de nulle part, entre la mer et les étoiles du ciel. Le destin des parents est prévisible. Est-il forcément celui de la fille? Peut-elle rester pour toujours dans ce monde où le temps est infini, où le jours de beau temps succèdent aux terribles nuits de tempête?
Au cœur de la rose (Généalogie d’une tristesse), la pièce écrite par le dramaturge et cinéaste Pierre Perrault à la fin des années 1950, est superbe: texte intelligent, langue soignée, construction irréprochable. Mais sa mise en scène par Jérémie Niel en fait une œuvre de théâtre contemporain encore plus intéressante dans la manière de donner au son et à l’image des rôles majeurs, au-delà du jeu parfait de ses six interprètes.
Ainsi, la pièce prend une tournure cinématographique en insistant sur le son, mais surtout sur les silences, sur les images vidéo projetées, sans oublier l’obscurité de la nuit et de la tristesse.
Cela fait de cette pièce déjà très belle une œuvre extrêmement forte, très bien jouée, pour laquelle le son particulièrement soigné rend par exemple les paroles de la fille limpides, tandis que celles du père et de la mère sont entrecoupées de leurs râles intérieurs. La pièce nous fait ainsi voir et entendre l’invisible, au-delà de ce que les personnages ressentent, ce qu’ils sont intérieurement.
La rose est certainement la fille dont les désirs et les pensées sont clairement inspirés par la vie. Mais comment s’épanouir dans un monde si plombé par la tristesse, où les chances de salut sont si rares?
Il y a bien le boiteux qu’elle aime bien – et le sentiment est certainement réciproque –, et qui voudrait bien être gardien de phare un jour. À part lui, un autre homme vit dans les environs, mais il ne l’intéresse pas.
C’est alors qu’une chaloupe subit des avaries lors d’une de ces nuits affolantes par la violence des éléments. En descendent un capitaine et son fils qui ont besoin d’outils pour s’occuper des réparations. Ainsi, si le temps s’étire interminablement pour les gardiens du phare, on ne le voit pas passer sur un navire en mer, où il y a toujours mille choses à faire pour ne pas risquer de sombrer.
Les six interprètes de la pièce sont magnifiques dans leurs rôles respectifs. Au cœur de la rose (Généalogie d’une tristesse), est une œuvre à voir qui mérite d’être reprogrammée, afin qu’elle puisse être appréciée du plus vaste public possible.
Au cœur de la rose (Généalogie d’une tristesse)
Production : Pétrus
Texte : Pierre Perrault (Lux Éditeur)
Adaptation et mise en scène : Jérémie Niel
Interprétation : Evelyne de la Chenelière, Marine Johnson, Marco Poulin, Sébastien Ricard, Nahéma Ricci et Émile Schneider
Du 25 au 29 mai 2024 à l’Espace Libre, à Montréal