Quentin Dupieux, qui tourne plus vite que son ombre, en plus d’avoir ouvert le plus récent Festival de Cannes, est désormais un immanquable du cinéma français. Qui d’autre qu’un des maîtres modernes de l’absurde pour s’attaquer à l’une des figures les plus emblématiques que mythiques du mouvement surréaliste? Si la réponse semble évidente, le résultat, sous les traits d’un film au titre aussi inusité que Daaaaaalí!, demeure particulièrement déroutant.
Si les biopics traditionnels sont de moins en moins nombreux, cette forme du septième art était tout indiquée pour véritablement rendre hommage au génie créatif de Dalí.
On épouse ainsi les mouvements de son art au sein même de l’œuvre qui lui rend hommage, histoire de ne pas se contenter de représenter le personnage à l’écran, mais bien de montrer l’ensemble de sa création.
Si l’on pourrait croire que par ces dédoublements habiles de personnalités et d’interprètes pour un seul personnage, Dupieux marche un peu dans les plates-bandes du I’m Not There de Todd Haynes, il s’aventure en fait plutôt dans la cour de Luis Buñuel, un autre collaborateur clé de l’artiste qui est au coeur du film.
En se référant à lui-même, le long-métrage louche aussi du côté des Monty Python, et ce, sans jamais rien perdre de son style unique que Dupieux oeuvre à parfois depuis plusieurs décennies déjà. Avec une durée de 77 minutes, d’ailleurs, le cinéaste maintient son approche de films plus court que ce qui se fait dans le cinéma contemporain.
Dupieux, toujours, conserve ses fonctions de chef d’orchestre et de grand manitou, en signant le scénario, la réalisation, la direction photo et le montage.
Cette fois, cependant, il a confié la musique à Thomas Bangalter (la moitié du duo musical Daft Punk). La trame sonore, qui fait office de vers d’oreille, est une seule mélodie jouée sur un seul instrument qui revient incessamment en boucle, que ce soit comme musique d’ambiance pour les spectateurs, ou pour les personnages.
Cette idée cyclique est poursuivie de bout en bout, que ce soit dans cette première image qui reproduit le tableau Fontaine nécrophilique coulant d’un piano à queue, ou encore avec cette idée de s’amuser grandement et amplement avec la construction narrative, principalement avec les mises en abyme.
Dupieux adore raconter et il s’amuse avec les différents niveaux de lecture, se rapprochant davantage de ses œuvres plus éclatées comme Réalité, mais avec l’habileté et la mélancolie experte qu’il développe depuis Au poste!, pour ne nommer que celui-là.
Certes, l’entreprise est casse-gueule et va certainement diviser une fois de plus les spectateurs, qui accepteront ou non les multiples propositions souvent insensées du film.
Pour ceux qui voudront s’abandonner, un régal s’offrira à eux, puisque comme toujours, Dupieux médite et réfléchit sur le rapport de l’œuvre et de son public. Ce retour à l’abstrait, après son plus concret et cérébral Yannick, déroutera certainement ceux qui ne sont pas familiers avec au moins un autre de ses longs-métrages.
Pour les fans de Dalí, toutefois, les références fusent par milliers et on conseille d’ailleurs d’aller écouter des entrevues de l’artiste pour réaliser à quel point non seulement plusieurs des interprétations des comédiens sont justes, mais aussi le fait que plusieurs répliques sont reprises mot pour mot. Comment, ainsi, passer sous silence son succulent commentaire sur les dessins d’enfants!
Côté performances, la crème de la crème continue de se battre pour collaborer avec Mr. Oizo. Si certains noms sont d’usage, comme la pétillante Anaïs Demoustier (qui en est à sa troisième collaboration), parfaite de ténacité et de naïveté, on a décidément du plaisir à voir Romain Duris dans un contre-emploi qui confirme que la comédie lui va aussi bien que les autres genres auxquels il touche.
Côté Dalí(s), si Gilles Lellouche nous rend un peu plus perplexe de par son interprétation plus énigmatique, Pio Marmaï se veut discret, mais certainement mémorable et hilarant. Toutefois, ce sont Jonathan Cohen et Édouard Baer qui épatent le plus. Le premier parce qu’il s’aventure très loin de son registre habituel, alors que le second pourrait bien se récolter une nomination aux prochains César, tellement son incarnation est totale.
Daaaaaalí! confirme donc que Quentin Dupieux est un cinéaste fascinant à la filmographie aussi riche que variée. Doté d’un style distinct, en s’interrogeant continuellement sur la notion de rêve et de réalité, il se permet quand même d’explorer en repoussant constamment les possibles et ses propres limites, et osant cette fois s’attaquer plus que jamais à l’insaisissable. On ne s’en plaindra certainement pas, encore un peu pris dans cette irrésistible rêverie, trop occupés à en admirer le résultat.
7/10
Daaaaaalí! prend l’affiche en salle le vendredi 24 mai.