Plus de deux ans, maintenant, après l’élargissement du conflit entre l’Ukraine et la Russie qui faisait rage depuis 2014, cette guerre continue d’avoir un effet transformateur non seulement sur le terrain, entre l’ancienne république soviétique et l’ex-superpuissance communiste, mais aussi sur le plan énergétique et économique, avec ce qui semble être un double discours des pays de l’Ouest.
Tout d’abord, l’état des lieux en Ukraine: malgré une cascade de sanctions politiques et économiques imposées par l’Occident – dont le Canada – et d’autres pays du monde, la Russie dispose toujours d’assises financières solides, notamment en raison de sa production de combustibles fossiles.
C’est du moins l’avis de Svitlana Romanko, fondatrice et présidente de Razom We Stand, une organisation ukrainienne s’intéressant aux questions de paix et du climat.
« Immédiatement après que la Russie nous a brutalement envahis, plusieurs dirigeants ayant évoqué des embargos ont aussi mentionné clairement qu’ils ne voulaient pas ébranler les marchés énergétiques mondiaux », a-t-elle déclaré lors d’une entrevue, plus tôt ce mois-ci.
Au dire de Mme Romanko, la Russie aurait ainsi engrangé « plus de 600 milliards de dollars en profits en lien avec le secteur pétrolier et gazier depuis le début de la guerre », en février 2022. Et toujours selon elle, les pays de l’Union européenne continuent d’importer du gaz naturel liquéfié russe, pour une valeur d’un milliard de dollars, chaque mois.
Pour étayer ses dires, la présidente de l’organisation dit s’appuyer sur les données de deux organisations sans but lucratif, Urgewald, en Allemagne, et Bond Peter Leefmiliu, en Belgique, qui soutiennent que ce gaz naturel liquéfié fait son chemin en Europe, et contourne donc les sanctions, via des pays comme les Pays-Bas et la Belgique, justement.
Toujours selon Urgewald, de 4 à 6 % du gaz naturel utilisé en Allemagne provient toujours de Russie, « ce qui permet à Moscou d’engranger des milliards permettant de s’acheter des armes, ce qui est complètement à l’opposé de ce que les leaders européens ont versé à l’Ukraine », avance Mme Romanko.
Des sanctions « inefficaces »
De fait, cette dernière juge sévèrement les sanctions occidentales imposées à la Russie: « Elles ne sont pas suffisantes, parce qu’elles ne ciblent pas assez efficacement le secteur pétrolier et gazier. Ce qu’il faut, pour assécher les coffres de guerre en apparence sans fond de Vladimir Poutine, c’est d’imposer un embargo total sur les combustibles fossiles russes, particulièrement le gaz naturel liquéfié et le pétrole brut, y compris les produits pétroliers », martèle-t-elle.
« C’est un enjeu essentiel. »
De fait, soutient encore Mme Romanko, « l’Europe n’a pas besoin du gaz russe ».
« Depuis le début de l’invasion, en 2022, le paysage énergétique européen s’est complètement transformé », affirme-t-elle. De fait, après plusieurs mois de ce qui s’apparentait à une panique, les pays européens se dépêchant de remplir leurs réservoirs en prévision des temps froids, « le plan REPowerEU de la Commission européenne, lancé en mai 2022, a signalé une étape importante vers la diversification énergétique et les énergies renouvelables ».
En Ukraine, toutefois, la situation énergétique est plus difficile. « Cela s’explique par une série de facteurs, mentionne Mme Romanko: déclin économique, y compris la baisse historique de production du charbon, la destruction des infrastructures en raison de l’agression armée russe, et les vulnérabilités d’un système énergétique centralisé ».
Pire encore, indique-t-elle en entrevue, « les attaques russes ont endommagé 50 % de l’infrastructure énergétique ukrainienne », qui accusait déjà son âge.
Mme Romanko incite ainsi Kiev à « prioriser une transition rapide vers des alternatives énergétiques décentralisées et renouvelables. « Le potentiel de cette industrie se chiffre à environ 400 milliards de dollars. Ces développements viendraient régler le problème de la sécurité énergétique et de la résilience, en plus de créer de bons emplois et de la croissance économique, ainsi que de s’attaquer aux craintes en matière de changements climatiques », conclut-elle.