Une dizaine d’années après sa présentation initiales sur des planches montréalaises, voilà que Moi, dans les ruines rouges du siècle, une pièce d’Olivier Kemeid basée sur les souvenirs d’enfance de l’acteur Sasha Samar, retrouve les éclairages de scène de la métropole, cette fois du côté de chez Duceppe.
Ces ruines rouges du siècle, ce sont évidemment ces lambeaux du monde communiste qui se sont détachés du corps malade de l’URSS, jusqu’à ce qu’émerge la Fédération de Russie et ses anciennes républiques, maintenant indépendantes. Mais l’histoire de Sasha Samar est plus que cela: c’est d’abord, et surtout, la saga d’un homme qui s’est presque constamment retrouvé en perte de repères.
Que ce soit avec le départ de sa mère, alors qu’il était encore tout jeune; son lent éloignement face à un père qui souhaiterait le voir lui aussi trouver du travail à la mine, plutôt que de suivre une carrière ailleurs, ou bien avec cette fin de régime qui se rapproche peu à peu, Sasha se perd tranquillement dans un espoir mêlé d’abnégation et de pessimisme.
Oui, on peut toujours croire que les lendemains seront meilleurs, que l’homme communiste triomphera, que maman reviendra, mais il ne faut pas se faire d’illusions: la société soviétique – la planète entière, en fait – poursuit sa course à toute vitesse, et tant pis pour les retardataires, ou ceux qui tombent du train alors qu’il est en marche.
Et donc, dans cette reprise de l’oeuvre basée sur sa vie, Sasha Samar, malgré sa mi-cinquantaine, donne encore l’impression d’être un jeune enfant, optimiste et même possiblement naïf, face au maëlstrom de l’histoire, face aux terrifiantes marées géopolitiques et sociales qui ont profondément transformé le 20e siècle.
Acteur brillant, M. Samar se déplace sur scène comme un poisson dans l’eau, entre un père écrasé par le poids du système (excellent Jean Maheux) et une amie/copine qui hurle son désir de ressentir quelque chose (superbe Sophie Cadieux).
Plus de 30 ans après la chute de l’Union soviétique, Moi, dans les ruines rouges du siècle, ainsi que les autres pièces similaires présentées ces jours-ci à Montréal, est la preuve qu’il est toujours aussi pertinent d’évoquer ce que d’aucuns décrivaient comme « la fin de l’histoire », mais qui n’était, en fait, qu’une nouvelle étape dans cette grande cavalcade mondiale.
Il s’agit d’une oeuvre à la fois puissante et douce, forte et tranquille, sociétale et intime. Du grand théâtre, avec de grands interprètes.
Moi, dans les ruines rouges du siècle, un texte et une mise en scène d’Olivier Kemeid, selon une idée originale d’Olivier Kemeid et de Sasha Samar
Chez Duceppe, jusqu’au 30 mars