C’est en 2023 que la danseuse et chorégraphe québécoise Margie Gillis a fêté ses 50 années de carrière internationale. À l’origine d’au moins 150 créations, elle se produisait pour deux soirs seulement au Théâtre Maisonneuve de Montréal, entourée des nombreux artistes du Projet Héritage. L’artiste y présentait un programme double, deux œuvres chorégraphiques aux thèmes très différents, dont la seconde où elle intervient aussi en tant que danseuse. Un pur plaisir.
La première œuvre intitulée Pour perdre le monde, tourne autour du thème des réfugiés climatiques. Sur une musique grave et vibrante, la lumière tamisée laisse entrevoir une multitude de corps enchevêtrés sur le sol qui s’éveillent et se relèvent. Une femme, au centre, exerce un mouvement de rotation de l’un seulement de ses bras. Les autres l’imitent dans ce mouvement de moulinet qui brasse l’air à la manière des éoliennes. Les tenues sont simples, des robes ou des pantalons et des hauts souples dans différents tons sombres et harmonieux.
Toutes les danses de ce ballet sont collectives, ou plutôt regroupées, mais pour mieux faire apparaître le caractère fragile des individus dans cette foule concernée par le même problème. Il s’agit de fuir, mais où? De se protéger, mais comment? De conserver aussi ses maigres possessions. Et dans ce désordre où chacun est atteint et cherche à assurer sa survie, ce sont les gestes d’entraide, de solidarité et de compassion que le ballet met clairement en exergue.
Cela donne de très beaux tableaux, plein d’humanité. Dans des éclairages de feu, les costumes apparaissent aux couleurs de cendre. Toute une exploitation chorégraphique de grand draps sombres les fait voltiger dans les airs ou recouvrir les corps qui disparaissent sous des sortes de montagnes desquelles émerge cependant une danseuse qui manie une pièce de tissu plus petite mais joliment coloré du bleu de l’espoir.
La deuxième œuvre est très différente de la première; on entend le doux bruit de vagues sur une plage; un groupe de danseuses vêtues de robes à fleur, fraiches et colorées, semblent profiter du soleil avec bonheur…
Un peu à part, un couple endormi, un homme (interprété par une danseuse) et son épouse. Il s’agit du couple Bloom du célèbre roman Ulysse, de James Joyce. Le roman s’achève sur une performance littéraire de son auteur, un monologue d’une soixantaine de pages, sans aucune ponctuation, qui suit les pensées désordonnées de Molly, l’épouse de Léopold et qui fut déjà mise en scène dans un solo de Margie Gillis, il y a 30 ans. Mais ici, l’œuvre présente une quinzaine d’artistes qui ont d’ailleurs collaboré à sa conception.
On n’entend pas de musique pour cette œuvre ou plutôt, ce sont les voix off des trois protagonistes principaux du Ulysse de Joyce qui la remplacent, soit celles de Stephen, de Léopold et surtout de Molly. Et dans ce très beau ballet vivifiant et joyeux, où les mots et les pensées à la fois ordinaires et extraordinaires servent de fond musical pour les mouvements des danseurs, ce sont plusieurs Molly qui apparaissent, toutes différentes et parfois contradictoires comme le sont justement nos pensées. Parmi les différentes Molly, on trouve Margie Gillis et son humour, ainsi que le plaisir évident de tous les artistes, qui est communicatif et que les spectateurs ont grand plaisir à ressentir.
Littérature du corps
Chorégraphe : Margie Gillis
Avec les interprètes du Projet Héritage
Pour perdre le monde
Interprètes : Chelsea Bonosky, Geneviève Boulet, Rachelle Bourget, Alexandra Caron, Isabel Cruz, Marc Daigle, Caitlin Griffin, Tessa Rae Kuz, Ruth Naomi Levin, Hoor Malas, Jason Martin, Annmaria Mazzini, Erin O’Loughlin, Alisia Pobega et Jerome Zerges
Toutes ces choses qui fleurissent
Interprètes : Chelsea Bonosky, Geneviève Boulet, Rachelle Bourget, Alexandra Caron, Isabel Cruz, Caitlin Griffin, Tessa Rae Kuz, Ruth Naomi Levin, Hoor Malas, Lucy M. May, Annmaria Mazzini, Erin O’Loughlin, Alisia Pobega et Margie Gillis
Textes : extraits d’Ulysse, de James Joyce
Danse Danse