Christopher Morris, auteur canadien de la pièce Tremblements proposée à l’Espace Go, est admiratif et respectueux à raison du travail d’une organisation comme Médecins Sans Frontières. Aider l’autre, quel qu’il soit, le soigner sur des zones de catastrophes humaines ou de conflits armés, et au péril de sa propre vie, quoi de plus admirable?
Par une performance solo exceptionnelle de l’actrice Debbie Lynch-White, très bien mise en scène par Édith Patenaude, son texte fort et bouleversant fait trembler le public et l’aide à prendre conscience des dessous inextricables de cette mission nécessaire et quasiment impossible qu’est le travail humanitaire.
Qu’est-ce qu’aider l’autre? Et comment l’aider pour que cette aide ne tourne pas au cauchemar à la fois pour l’autre et pour celui ou celle qui aide, et en évitant – si possible – de tomber dans les pièges de la perversion de certains qui contrôlent le terrain? Comment faire plus de bien que de mal sans trop se faire de mal au passage?
Bien sûr que l’aide humanitaire est requise et digne d’admiration pour ses acteurs, et source de fierté pour ceux qui y contribuent. Néanmoins, c’est peu dire que les dilemmes abondent dans ce monologue (traduit par Maxime Allen) de Marie, une jeune infirmière québécoise idéaliste. Le public pénètre ses souvenirs, ses pensées, ses questionnements, ses contradictions, ses révoltes, ses choix impossibles pour à la fois satisfaire son altruisme, ses valeurs morales qui sont aussi les nôtres, sa propre vie qui suit son cours, ses tremblements, ses attirances amoureuses, ses loyautés, ses peurs bien justifiées, ses deuils…, et supporter ce contact avec un réel terrible dont nous sommes loin d’avoir conscience.
Car sur le terrain, les choses ne se passent pas exactement comme le rapportent les journaux, la télévision ou le web avec plus ou moins – et souvent plus – de tendance à aller vers ce que le rédacteur aime croire et dont il veut convaincre son public.
Le texte est puissant et magistralement construit. Si le spectateur a l’impression d’être un peu perdu au début, tous les morceaux se mettent en ordre au fur et à mesure de l’avancée du récit. Et dans ce paysage dramatique, l’humour a quand même toute sa place. C’est qu’il faut pouvoir supporter la réalité sans fard. Et dans un tel contexte, la culpabilité occidentale n’aide pas forcément à agir adéquatement.
Car au-delà des campagnes de vaccinations et des aides aux populations qui en ont besoin, les humanitaires doivent négocier avec ces chefs de guerre qui utilisent des enfants soldats et contrôlent la route où, éventuellement, ils tueront quelques-uns de leurs membres, ou avec ces talibans qui organisent des jeux pervers et d’une cruauté infinie dont ils ont le secret, ou taire ces viols systématiques, au risque que les victimes subissent des outrages encore pires. Et que dire aussi de ces milliers de réfugiés qui prennent le risque de mourir en mer pour gagner un peu de liberté? Sans compter qu’être un humanitaire ne garantit pas de rester en vie dans des systèmes qui se moquent bien des lois telles qu’on les conçoit ici.
Tout se bouscule dans la tête de Marie, « On fait quoi? On fait rien? C’est quoi qui est si compliqué dans le fait d’aider? […] Pis quand bien même que j’aurais aidé, même juste une personne, ça change rien parce que le système est complètement FUCKÉ! »
Tremblements est une pièce remarquablement écrite, mise en scène et interprétée, et certainement à voir en cette période si troublée de notre histoire.
Tremblements
Texte: Christophe Morris
Traduction: Maxime Allen
Mise en scène: Édith Patenaude
Avec: Debbie Lynch-White
Du 14 novembre au 2 décembre à l’Espace Go à Montréal