Une des bêtes noires des amateurs de théories du complot pendant la pandémie, la firme internationale de consultants McKinsey joue sur deux tableaux: elle conseille les organisateurs de la COP28, la rencontre annuelle sur les changements climatiques, et en profite pour mousser les priorités de ses autres clients… les géants du pétrole et du gaz.
Selon des documents et des témoignages obtenus cette semaine par l’Agence France-Presse, McKinsey & Company a fourni aux organisateurs un « récit de la transition énergétique » qui évoque des investissements dans le pétrole et le gaz de 2700 milliards de dollars d’ici 2050 —en contradiction avec les cibles officielles des rencontres annuelles sur le climat: une réduction radicale de la consommation de pétrole d’ici 2050.
Il faut rappeler que le lien entre l’industrie pétrolière et les organisateurs de la COP28 dérange plusieurs observateurs et ce, depuis l’année dernière: la rencontre, qui s’ouvre le 30 novembre, a lieu cette année aux Émirats arabes unis (EAU), petit pays pétrolier du golfe Persique, et le président de la COP28, Sultan Al Jaber, est également le grand patron de la compagnie pétrolière nationale, ADNO. En mai dernier, plus de 130 juristes et décideurs de l’Union européenne et des États-Unis en avaient appelé à ce qu’il cède son siège de président. Personne ne s’étonne donc que des défenseurs des intérêts pétroliers puissent avoir son oreille —ou du moins, qu’il ait lui-même à coeur les intérêts de l’industrie pétrolière. Mais le canal de communication direct que semble représenter McKinsey, d’après ces documents, ajoute un argument à ceux qui dénoncent le choix des EAU comme pays hôte.
Pendant la pandémie, McKinsey était fréquemment citée par divers théoriciens du complot, qui mettaient cette firme au centre de sombres manigances à des fins qui n’étaient jamais clairement définies. La firme était devenue une cible parce qu’elle s’est mondialisée au fil des années: elle emploie environ 35 000 personnes, rapporte un chiffre d’affaires de 15 milliards$ en 2022, et compte parmi ses clients nombre de gouvernements et de grandes compagnies.
Des recommandations pas très vertes
Un des enjeux discutés à la COP28 sera justement cette « sortie » du pétrole. Mais déjà, depuis des mois, il y a un débat quant aux définitions: la politique officielle des EAU est d’en d’arriver à un bilan « zéro carbone » en mettant l’accent surtout sur la capture de carbone — autrement dit, investir dans des technologies pour « séquestrer » les émissions de CO2, plutôt que de miser en priorité sur la diminution des émissions. Il faut aussi savoir que l’efficacité de ces technologies de capture reste à démontrer.
Le document de McKinsey recommande aussi que de « 40 à 50 millions de barils de pétrole par jour » soient encore utilisés en 2050, contre 100 millions aujourd’hui. C’est deux fois ce qui est recommandé par l’Agence internationale de l’énergie. En mai dernier, Christiana Figueres, présidente de la Convention-cadre des Nations unies sur le climat de 2010 à 2016, avait qualifié de « dangereuse » la politique des EAU de capture de carbone plutôt que de sortie du carbone.
Et les révélations des journalistes, cette semaine, ne sont pas tout à fait une première. Il y a 13 mois de cela, à la veille de la COP27 qui avait alors lieu en Égypte, on apprenait qu’une firme américaine de relations publiques qui a eu parmi ses clients les grandes compagnies pétrolières, à l’époque où celles-ci niaient le réchauffement climatique, avait été embauchée par le gouvernement égyptien pour les relations publiques de la rencontre sur le climat. La firme en question, Hill+Knowlton Strategies, est l’une des plus riches et des plus influentes du monde. Et une des plus anciennes: elle avait aussi contribué aux stratégies de relations publiques des grandes compagnies de tabac dès les années 1950.
Ce qui rappelle le fil conducteur entre tabac et pétrole, maintes fois souligné par des journalistes et des historiens: des années 1950 aux années 1980, la stratégie consistait à semer le doute sur le lien entre tabac et cancer. Alors qu’un consensus s’était dégagé parmi les experts du cancer quant au risque posé par le tabac, la « stratégie du doute » consistait à créer l’illusion que le débat se poursuivait. La même stratégie avait été ensuite utilisée, à partir de la fin des années 1980, au profit des compagnies pétrolières pour créer l’illusion d’un débat sur l’influence humaine dans le climat.