Autant adulé que détesté, Raspoutine est un personnage complexe ayant laissé une trace durable dans les annales de l’Histoire, et il est possible d’en apprendre un peu plus sur lui grâce à Une révolution nommée Raspoutine, la bande dessinée biographique que lui dédient le scénariste Hernán Migoya et l’illustrateur Manolo Carot.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Grigori Efimovitch Raspoutine, un mystique et guérisseur né en 1869 dans le village de Pokrovskoïe, ne laissait personne indifférent, et les qualificatifs les plus contradictoires (saint homme, charlatan, ivrogne, rustre inculte, chrétien socialiste, dérangé lubrique, etc.) ont été employés tour à tour pour le décrire. Plus d’un siècle après sa mort, une large part de mystère plane toujours autour de cet homme qui, après avoir sauvé le fils hémophile de Nicolas II, le dernier tsar de Russie, et de la princesse Alexandra Feodorovna, a su profiter de ses liens privilégiés avec la famille royale pour influencer la société russe de l’époque. La figure du moine fou est d’ailleurs encore bien vivante dans la culture populaire de nos jours, où on l’a même vu jouer les vilains dans la série Hellboy.
La bande dessinée est un excellent médium pour enseigner l’histoire de façon ludique, et c’est le cas de l’album Une révolution nommée Raspoutine, qui permet d’en apprendre davantage sur ce personnage plus grand que nature, et de départager le mythe de la réalité. Le récit débute en 2016, alors qu’un groupe d’adolescentes visite le musée de l’érotisme à Saint-Pétersbourg. Celles-ci s’esclaffent devant la taille gigantesque du phallus de Raspoutine conservé dans l’alcool, qui pouvait atteindre 30 centimètres en érection d’après les rumeurs (ce qui expliquerait son immense succès auprès de la gent féminine). Le directeur du musée intervient alors et leur demande si elles connaissent le propriétaire de cet organe imposant, ce à quoi elles répondent non, ce qui leur vaudra des remontrances, ainsi qu’une leçon biographique.
L’album se transporte ensuite en 1916, dans la ville de Petrograd (l’ancien nom de Saint-Pétersbourg). Alors qu’il reçoit ses admirateurs et écoute les doléances du petit peuple, comme il le faisait régulièrement, Raspoutine est confronté par une adolescente juive, Alissa Rosenbaum, qui lui demande d’intercéder auprès des autorités pour que son père, un chimiste et pharmacien polono-lithuanien, ne soit pas déporté, ce qui était monnaie courante à l’époque. Après son exil aux États-Unis, cette jeune fille deviendra une auteure connue (dont je tairai le nom de plume ici pour ne pas trop dévoiler de l’intrigue), et il s’agit de la seule liberté historique que le scénariste prend avec les faits, puisque je n’ai trouvé aucune trace de la rencontre entre cette future écrivaine de renom et le moine fou.
Plutôt que d’essayer de relater l’ensemble de son parcours, Une révolution nommée Raspoutine se concentre sur la dernière année de la vie de Raspoutine, et se conclut par son assassinat le 30 décembre 1916, ainsi que le massacre brutal de la famille impériale russe. Le scénariste Hernán Migoya fait un travail remarquable pour replacer le personnage dans le contexte de son époque, dépeignant la vie quotidienne dans une Russie en guerre contre l’Allemagne, les tensions grandissantes entre la famille royale, la bourgeoisie et le peuple qui contribuera à l’essor de la révolution bolchévique, sans négliger l’antisémitisme érigé en système, alors que les Juifs étaient déportés par l’Okhrana, la police secrète, ou carrément lynchés par la population lors de pogroms.
Manolo Carot livre des illustrations raffinées aux lignes élégantes dans Une révolution nommée Raspoutine. Avec ses cheveux graisseux et sa barbe hirsute, non seulement son Raspoutine ressemble aux photos qu’on a de lui, mais l’artiste parvient à reproduire le regard intense et hypnotique de l’homme, capable de convaincre un individu venu l’abattre de se suicider à la place. Les dessins rappellent subtilement la guerre entre les Russes et les Allemands, en plaçant occasionnellement dans le décor des soldats estropiés ou amputés. Carot reproduit avec le même talent les scènes plus intimes, prenant place dans les salons de la petite bourgeoisie, que les paysages urbains, dont le tramway dans les rues enneigées de Petrograd ou la perspective Nevski.
L’album compte évidemment une touche de nudité, ainsi que quelques scènes torrides, indispensables pour faire honneur à la réputation salace du personnage.
Fresque historique d’envergure, Une révolution nommée Raspoutine est une lecture fort instructive, qui permet d’en apprendre davantage sur le sulfureux personnage, mais aussi sur la Russie du début du vingtième siècle, déchirée entre les affres de la Première Guerre mondiale et la prise du pouvoir par les bolchéviques.
Une révolution nommée Raspoutine, de Hernán Migoya et Manolo Carot. Publié aux éditions Glénat, 72 pages.
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