En Suède, une comparaison entre les capacités cognitives des hommes au moment de leur enrôlement dans l’armée, et leur taux de vaccination 30 ans plus tard, révèle une corrélation: « nous avons trouvé que les capacités cognitives sont positivement corrélées à la vaccination contre la COVID-19 ».
Une corrélation n’implique évidemment pas une relation de cause à effet : d’autres facteurs, à l’insu des chercheurs, auraient pu entrer en ligne de compte. Les chercheurs eux-mêmes soulignent qu’une des limites de leur étude est qu’elle repose essentiellement sur des hommes de 42 à 59 ans (750 000 hommes contre 2700 femmes); parce qu’à l’époque où ils avaient fait leur service militaire (à l’âge d’environ 18 ans), celui-ci était obligatoire pour les hommes et facultatif pour les femmes. On pourrait donc alléguer que les disparités sur les « capacités cognitives » ne concernent que le sexe masculin.
Les chercheurs ont, en revanche, pris soin de vérifier si d’autres facteurs que l’on dit « confondants » auraient pu faire une différence, comme le taux de scolarité ou le niveau socio-économique. Aucun facteur n’est ressorti aussi fort que les « capacités cognitives », telles que mesurées par les tests effectués au moment de l’enrôlement.
En chiffres, cela se traduit par exemple par un délai de 50 jours pour atteindre un taux de vaccination de 80 %, dans le « groupe » à avoir eu les meilleures notes aux tests cognitifs, et un délai de 180 jours dans le groupe aux notes les plus faibles.
« Les résultats, écrivent ces trois chercheurs en économie et en recherches urbaines dans l’article paru dans le Journal of Health Economics, « suggèrent que la complexité de la décision de se faire vacciner peut rendre [cette décision] difficile pour les individus avec de plus faibles capacités cognitives ». Il faut se rappeler que « capacités cognitives » n’est aucunement un synonyme de « intelligence »: c’est plutôt un terme utilisé en psychologie pour définir un vaste ensemble de tâches mentales que chacun de nous entreprend dans toutes sortes de circonstances.
En l’occurrence, les auteurs s’appuient sur ce que la recherche en psychologie a souvent démontré au cours du dernier siècle, à savoir que nous avons tendance à prendre des décisions en fonction du court terme (un bénéfice immédiat ou la crainte d’un risque immédiat) plutôt que du long terme (prévention, protection). Ou en fonction de l’individuel plutôt que du collectif. Qui plus est, l’être humain est traditionnellement mauvais avec les probabilités, ce qui rend difficile de soupeser le pour et le contre lorsque s’entrecroisent beaucoup d’informations (1 risque sur 100 000, par exemple).
SI leurs résultats devaient se vérifier, ils constitueraient une critique implicite de la tentation des gouvernements d’adopter une stratégie unique pour l’ensemble de leurs populations lorsqu’il s’agit de promouvoir la vaccination, plutôt que différentes stratégies ajustées en fonction de différents groupes. Cette critique a été présente chez ceux qui, en 2021-2022, ont souligné que les hésitants à la vaccination avaient été un angle mort des campagnes de vaccination: ces gens n’étaient pas tous des antivaccins, mais ils se retrouvaient souvent catégorisés ainsi, ce qui s’était révélé être une stratégie inefficace pour les convaincre.
À l’inverse, cette recherche suggère une piste de solution: simplifier le processus de décision pourrait être un facteur qui favoriserait la vaccination chez plusieurs personnes hésitantes. Par exemple, « des rendez-vous [de vaccination] pré-réservés se sont révélés être particulièrement efficaces pour surmonter la résistance et l’hésitation vaccinale parmi les individus aux plus faibles capacités cognitives. Considérant que ces individus sont légèrement plus à risque de souffrir de problèmes de santé variés, incluant l’infection à la COVID, une telle politique pourrait apporter des gains significatifs » pour la santé publique.