La compagnie ExxonMobil avait fini par admettre publiquement le rôle des carburants fossiles dans les changements climatiques. Même son président, Rex Tillerson, admettait la nécessité pour les gouvernements de poser des gestes et promettait pour sa part un retrait progressif du pétrole et du gaz. Et pourtant, de 2006 à 2016, ce président s’est employé, en privé, à financer des actions visant à miner la crédibilité de la science.
C’est ce que révèlent des documents obtenus par le procureur de l’État de New York dans le cadre d’une enquête lancée en 2015 contre le géant du pétrole. Une partie de cette documentation était déjà connue; c’est une portion inédite qui a été dévoilée la semaine dernière par le Wall Street Journal (article réservé aux abonnés).
Et ces documents s’ajoutent eux-mêmes à d’autres documents, plus anciens, obtenus par des enquêtes journalistiques ou des recherches historiques, qui ont révélé qu’au sein des géants américains et européens du pétrole et du gaz, leurs propres chercheurs avaient, dès les années 1970, tiré la sonnette d’alarme sur l’impact délétère qu’allaient avoir les carburants fossiles dans un futur pas si lointain.
Interrogé par le Wall Street Journal sur ces documents, celui qui a succédé à Tillerson à la tête de la compagnie, Darren Woods, a déclaré: « pris hors de leur contexte, ces documents paraissent mal. Mais pour avoir travaillé avec certains de ces collègues, je sais qu’ils ont de bonnes intentions ».
Parmi les contradictions: bien qu’ayant promis en 2008 qu’elle cesserait de financer les groupes de pression qui s’employaient à nier les changements climatiques, la direction d’Exxon a financé cette même année un scientifique —sans spécialisation dans le climat— pour qu’il écrive un essai sur les « incertitudes » des mesures de gaz à effet de serre. En 2011-2012, Rex Tillerson aurait invité les chercheurs de sa compagnie à contester les conclusions du dernier rapport du GIEC, alléguant qu’il était « insatisfait » de la couverture médiatique. Ces scientifiques avaient pour mission de chercher « n’importe quel argument sceptique que nous considérons ne pas avoir encore été réfuté ».
Rex Tillerson allait devenir en 2017 secrétaire d’État (le ministre en charge des affaires étrangères) du président Donald Trump.
Ces révélations s’inscrivent dans un contexte plus vaste, celui des multiples poursuites (liste non exhaustive ici) lancées ces dernières années dans plusieurs pays contre les géants du pétrole et du gaz (une cinquantaine aux États-Unis seulement):
- certaines de ces poursuites tentent d’amener les tribunaux à attribuer une responsabilité civile ou criminelle dans les dégâts causés par les changements climatiques;
- d’autres poursuites veulent plutôt que ces compagnies soient trouvées coupables de dissimulation d’information —face au public ou face à leurs actionnaires.
À plusieurs reprises, des parallèles historiques ont été faits entre ces poursuites et celles intentées contre les compagnies de tabac à partir des années 1980. Les compagnies de tabac ont jadis été reconnues coupables d’avoir menti sur ce qu’elles savaient des dangers du tabagisme, et c’est le même risque que courent les compagnies pétrolières, allèguent les juristes.