Si les débats publics se concentrent souvent sur le fait que la crise climatique alimente les mouvements migratoires, de nouveaux travaux de recherche publiés dans Nature Human Behaviour démontrent que ces tendances migratoires sont davantage liées aux facteurs socio-économiques. L’étude fournit aussi, écrivent ses auteurs, un nouvel ensemble de données sur les migrations, au cours des deux dernières décennies, afin d’alimenter la mise au point de politiques publiques et de futures études.
« Nos conclusions ne correspondent pas vraiment aux déclarations, répétées dans les médias, à propos des migrations provoquées par la crise climatique », affirme Venla Niva, chercheuse postdoctorale à l’Université Aalto et principale autrice de l’étude. « Lorsque vous évaluez les différents facteurs unis au sein d’un tout, l’analyse démontre que les facteurs de développement humain sont plus importants que le climat. »
Le groupe de recherche a déjà travaillé sur ce même sujet, mais pour la période allant de l’année 1990 à l’an 2000.
La nouvelle analyse couvre les deux dernières décennies, soit de l’an 2000 à 2019. À l’aide des données obtenues, les chercheurs affirment qu’il est possible de répondre à des questions autrement trop complexes en disposant de données moins précises, par exemple des moyennes nationales. « Il était vraiment nécessaire d’obtenir des informations aussi précises, mais elles n’existaient pas. Alors nous avons décidé de les recueillir nous-mêmes », a mentionné Mme Niva.
Ces nouvelles données sont d’ailleurs disponibles pour tous et peuvent être examinées à l’aide d’une carte interactive offerte en ligne.
L’équipe a combiné les taux de naissance et de mortalité avec la croissance totale de la population pour estimer les taux de migration. Le rôle joué par les facteurs socio-économiques et le climat a été intégré à l’aide de l’Indice de développement humain et l’Indice d’aridité des terres.
En commençant leurs travaux avec les taux de mortalité et de naissance à l’échelle sub-nationale, et en ramenant le tout à des zones de 10 kilomètres carrés, les chercheurs disent avoir réussi à produire une base de données représentant une résolution jamais vue.
« Cela permet de répondre à des questions qui ne peuvent s’appuyer sur les agrégats nationaux », soutiennent les chercheurs.
« Les facteurs climatiques ne respectent pas les frontières administratives, alors des données comme celles-ci sont nécessaires si vous voulez étudier ces tendances », mentionne encore Mme Niva.
Les chercheurs ont relevé des niveaux élevés d’émigration dans des régions qui se trouvent au milieu de l’échelle de l’Indice de développement humain et de l’aridité, comme dans certaines zones de l’Amérique centrale, du nord-est du Brésil, de l’Afrique centrale et du sud-est de l’Asie. « Ce ne sont pas les plus pauvres qui fuient des catastrophes environnementales ou des changements climatiques. La migration est une méthode d’adaptation employée par des gens qui ont la capacité de se déplacer », ajoute Mme Niva.
Selon les mêmes méthodes de mesure, les régions à fort indice de développement humain ont enregistré un fort taux d’immigration, sans égard à leurs conditions climatiques. Par exemple, certaines régions de la péninsule arabique, de l’Amérique du Nord, de l’Australie et du nord de la Méditerranée ont toutes reçu un grand nombre de nouveaux arrivants, malgré leur aridité.
« Les décideurs devraient porter attention à tout cela. Plutôt que de se concentrer uniquement sur la fermeture des frontières et la lutte aux migrations, nous devrions oeuvrer pour soutenir et aider les individus se trouvant dans des pays économiquement désavantagés. Cela aiderait à réduire les facteurs qui poussent les gens à migrer, à la recherche de meilleures opportunités », soutient Matti Kummu, professeur associé en matière d’enjeux liés à l’eau et à la nourriture, et principal auteur de l’étude.
Les moyennes nationales dissimulent les tendances
La granularité des nouvelles données révèle aussi des complexités, dans les tendances migratoires, qui sont dissimulées au sein des moyennes nationales. « En France et en Italie, par exemple, il existe des différences intéressantes entre le nord et le sud, et en Espagne, cette différence existe entre l’est et l’ouest. Il existe tant de tendances que les chercheurs pourraient examiner, sans oublier les raisons qui sous-tendent celles-ci, qui pourraient varier en fonction des pays », précise M. Kummu.
Des tendances inattendues ont aussi été détectées du côté des migrations entre la campagne et la ville. « Il existe une croyance répandue que les zones urbaines attirent des gens originaires de la campagne, mais ce n’est pas le cas partout. Par exemple, l’inverse est vrai dans plusieurs régions d’Europe », poursuit M. Kummu. La migration vers les campagnes était aussi claire dans diverses parties de l’Indonésie, du Congo, du Venezuela et du Pakistan, et lorsque l’analyse est effectuée à l’échelle des communautés, le portrait de la situation devient encore plus complexe, écrivent les chercheurs.
« Au final, la migration est plus complexe que ce que les gens semblent en penser », dit Mme Niva. « Nos conclusions contribuent à la discussion portant sur l’origine et la méthode au coeur de cette migration – ce n’est pas vraiment un phénomène eurocentré, parce que la majeure partie de la migration se produit ailleurs dans le monde. »