La dynastie Qing, en Chine, s’est effondrée en 1912, après 250 ans de règne. Selon une étude menée par une Complexity Science Hub, et à laquelle des chercheurs de plusieurs pays ont participé, les raisons expliquant cet effondrement peuvent assurément servir de mise en garde à propos de l’instabilité qui afflige notre monde, aujourd’hui.
De nos jours, la Chine est considérée comme l’une des plus grandes économies du monde; cependant, cette situation n’est pas nouvelle. En 1820, l’économie chinoise était déjà surpuissante, et représentait près du tiers du PIB mondial. Entre les deux est survenue une période de déclin, puis une résurgence.
En 1912, donc, après 250 ans au pouvoir, la dynastie Qing s’est effondrée, malgré le fait qu’elle était largement plus riche que la Chine contemporaine. « Cela démontre clairement que toute économie doit faire attention, puisque les circonstances peuvent changer, et parfois assez rapidement », soutient Georg Orlandi, principal auteur de l’étude. Ces travaux sont publiés dans PLOS ONE.
Causes similaires alors… et maintenant
« Il est essentiel de comprendre les origines de telles instabilités. Le fait de tenir pour acquis que c’est une chose du passé qui ne peut plus se reproduire serait une erreur. De tels changements peuvent effectivement se produire de nouveau, puisque les mécanismes sous-jacents sont étrangement similaires », ajoute Peter Turchin, un autre auteur de l’étude.
Des chercheurs tentent depuis un certain temps de déterminer les causes expliquant la chute de la dynastie Qing. Plusieurs facteurs ont déjà fait l’objet de travaux, y compris des catastrophes environnementales, des incursions étrangères, des famines, ou encore des émeutes. Cependant, « aucun de ces facteurs ne permet d’obtenir une explication complète », soutient M. Turchin.
Et donc, dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont amalgamé plusieurs facteurs et ont découvert que trois éléments avaient fortement renforcé la pression sociopolitique.
Tout d’abord, la population a été multipliée par quatre entre 1700 et 1840; cela a entraîné une diminution des terres disponibles par habitant, et provoqué un appauvrissement de la population rurale.
Ensuite, cela a mené à une compétition accrue pour des postes prestigieux. Si le nombre de candidats a augmenté, on a recensé de moins en moins de diplômes les plus enviés ayant été décernés, avec un pic en 1796. Puisqu’un tel diplôme était nécessaire pour obtenir un poste au sein de la puissante bureaucratie chinoise, cette disparité entre le nombre de postes et ceux qui désiraient les obtenir a créé un vaste bassin de candidats déçus.
Les leaders de la révolte des Taiping, probablement la guerre civile la plus sanglante de l’histoire de l’humanité, étaient tous de tels candidats rejetés.
Enfin, le fardeau financier de l’État a gonflé en raison de la hausse des coûts associée au fait de mater les révoltes, la baisse de la productivité par capita et les déficits commerciaux croissants imputables aux réserves d’argent en baisse et les importations d’opium.
Ensemble, ces trois facteurs ont culminé en une série de révoltes qui ont laissé présager la chute de la dynastie Qing, en plus d’entraîner la mort d’un très grand nombre de personnes.
Les Qing le savaient
Selon les conclusions de l’étude, les tensions sociales avaient déjà atteint leur maximum entre 1840 et 1890. « Tenir pour acquis que les dirigeants Qing n’étaient pas au fait de la situation serait une erreur », indique M. Turchin. Le fait que la dynastie a perduré jusqu’en 1912 vient cependant souligner la robustesse des structures institutionnelles.
Cependant, plusieurs solutions mises en place par ces dirigeants se sont avérées être des idées à courte vue, quand elles n’étaient pas carrément inadéquates; par exemple, le gouvernement a augmenté le nombre maximum de gens pouvant passer des examens pour obtenir des postes convoités, sans offrir davantage de ces derniers. Cela n’a réussi qu’à exacerber des tensions déjà existantes.
Avec l’arrivée d’adversaires géopolitiques puissantes à travers la fin du 19e siècle, les dirigeants chinois n’ont ultimement pas réussi à prévenir leur chute.
Éviter le pire, aujourd’hui
Au dire des chercheurs, il est possible de tirer des leçons importantes de ce processus historique, et de les appliquer à nos sociétés contemporaines. Plusieurs nations, à travers le monde, sont ainsi aux prises avec de l’instabilité potentielle et des conditions qui ressemblent à celles subies par la dynastie Qing.
Par exemple, la compétition pour occuper les postes en haut de l’échelle demeure féroce. M. Orlandi met ainsi en garde contre le fait que « lorsqu’un grand nombre de personnes se livrent une lutte pour un nombre limité de postes, les décideurs politiques devraient voir cela comme un signal d’alerte, puisque cela peut, à tout le moins, favoriser l’instabilité ».
« Malheureusement, l’impact corrosif de l’augmentation des inégalités et la diminution des opportunités se développe sur le long terme, ce qui complique la détection de ce problème », ajoute le coauteur Daniel Hoyer, « sans compter le fait de réellement lutter contre ce phénomène, dans le contexte des cours cycles politiques que nous voyons dans plusieurs pays. Sans une vision à long terme et des stratégies ciblées pour relâcher ces pressions sociales, plusieurs endroits sont à risque de finir comme les Qing ».
« Nous ne sommes pas des prophètes. Notre objectif principal consiste à comprendre les dynamique sociales, qui peuvent ensuite servir à effectuer des prévisions », poursuit M. Orlandi.