Les médias sociaux ont profondément transformé la façon dont nous agissons, des communications à la consommation, en passant par l’apprentissage et le processus électoral. Mais selon une nouvelle étude, ces réseaux ont également transformé la façon dont nous définissions la religion, particulièrement chez les femmes.
« Les spécialistes de la religion s’intéressent à la façon dont celle-ci peut s’avérer fluide, et comment elle interagit avec les processus sociaux et les luttes de pouvoir », affirme Jacquelene Brinton, professeure adjointe en études religieuses à l’Université du Kansas.
« Lorsque nous sortons de la sphère des études religieuses, les gens considèrent la religion comme quelque chose de statique et de facile à définir. Les médias sociaux nous démontrent que ce processus de transformation est bel et bien en cours. »
Dans un nouvel article intitulé Media and the Formation of Secular/Religious Networks, la chercheuse se penche sur le développement de ce qui est surnommé « instavangélistes ».
Il s’agit majoritairement de femmes qui ont remplacé les croyances traditionnelles avec leur propre évangile via Instagram et d’autres plateformes. Elles contactent d’autres femmes pour leur indiquer comment « être la meilleure version d’elles-mêmes », même si le média et le message viennent flouter la séparation entre le religieux et le séculier.
Ces travaux ont été publiés dans le Journal of Religion, Media and Digital Culture.
Mme Brinton a découvert le terme instavangéliste en lisant un article de Leigh Stein, publié en 2021 dans le New York Times, qui s’intitulait The Empty Religions of Instagram: How did influencers become our moral authorities?. L’article met de l’avant la façon dont des personnalités médiatiques telles que Gabrielle Bernstein (1,3 million d’abonnés sur Instagram), Glennon Doyle (2,1 millions), Brené Brown (5 millions) et Gwyneth Paltrow (8,3 millions) sont devenues les « leaders néo-religieux de notre époque ».
« Ce qui est fascinant, pour moi, est le fait que lorsque des auteurs et des journalistes comme ceux du New York Times écrivent à propos des instavangélistes, ils ne réalisent pas qu’ils mettent aussi de l’avant une nouvelle définition de la religion, sans en être eux-mêmes conscients », mentionne la Pre Brinton.
« C’est un peu étrange que nous discussions de gens qui ne sont pas liés à ce qui est généralement défini comme une religion dans le sens traditionnel du terme, avec une église, une institution, ou encore une croyance. Cela vient de s’ajouter à notre compréhension commune de ce qu’est une religion. »
Si ses travaux se concentrent surtout sur les médias sociaux, la Pre Brinton dit croire que le processus a été enclenché plus tôt, par des médias comme le papier et la télévision.
« Mais ce que nous donnent les réseaux sociaux, c’est ce sentiment que nous connaissons les gens que nous suivons… alors que ce n’est que du marketing. Cela permet d’obtenir cet « aspect caché du séculier », et cela permet au séculier d’avoir l’air de quelque chose de religieux. Et tout cela s’unit au sein de cette notion de s’aider soi-même et de se réinventer », affirme-t-elle.
Les médias ont souvent offert, aux téléspectateurs et aux utilisateurs, l’illusion d’avoir une solide connexion avec leur source. Par exemple, l’hôte de l’émission CBS Evening News Walter Cronkite était considéré comme « l’homme le plus fiable des États-Unis », même si bien peu de ses admirateurs l’ont rencontré.
« Malgré tout, vous ne voyiez pas de photos de Walter Cronkite chez lui, en train de manger avec sa famille. Alors qu’Instagram vous donne l’impression que vous êtes dans la maison des individus et que vous êtes inclus dans leur vie – et que pouvez carrément avoir une influence. Vous pouvez commenter sur ce qu’ils cuisinent et leur dire à quel point leurs enfants sont beaux », a ajouté la Pre Brinton.
Toujours selon cette dernière, lorsque les gens écoutaient les bulletins de nouvelles, les publicités survenaient au milieu de l’émission. « Vous ne savez plus, maintenant, où elles se trouvent. Qu’est-ce qui est une publicité? Dans le temps, vous saviez qui payait Walter Cronkite. »
En se penchant sur le phénomène des instavangélistes, la Pre Brinton n’a pas été surprise par leurs liens avec le monde du marketing.
« Les évangélistes féminines comme Sarah Jakes Roberts sont des marques. Elles ont des agents et des publicistes. C’était surprenant, pour moi, de constater à quel point elles pouvaient mélanger ce message marketing via les médias sociaux, lorsqu’elles partagent la parole de Dieu. »
Pourquoi les femmes?
Toujours selon la Pre Brinton, le fait de se concentrer sur les femmes s’explique par l’idée que « les messages d’aide personnelle semblent être destinés aux femmes, et les messages transmis par ces instavangélistes ciblent aussi principalement les femmes ».
« Mais cela serait intéressant de tenter de trouver des équivalents masculins pour déterminer comment leurs messages sont formés », a-t-elle ajouté.
« Comment en sommes-nous arrivés au point où une personne comme Gwyneth Paltrow peut être considérée comme une personnalité religieuse dans un journal? Ce n’est pas logique, pour moi. Je crois que ce sujet mérite d’être creusé davantage. »